Expresso 2024
Expresso 2024 : ” Journalistes : pantins de leurs patrons ou esclaves de leurs besoins matériels ? “

Expresso 2024 : ” Journalistes : pantins de leurs patrons ou esclaves de leurs besoins matériels ? “

Avertissement:

Cet article a été réalisé dans les conditions du ” contre-la-montre ” lors de la 19e édition du festival Expresso de la presse jeune à Paris dans la nuit du 27 au 28 avril 2024.

Il correspond au sujet N°3 : Conférence-débat sur l’économie des médias, animée par Acrimed.

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La question économique est actuellement bien reconnue comme étant centrale dans le milieu journalistique, en témoigne le schéma : “ Médias français, qui possède quoi ? ”, du Monde Diplomatique et d’ACRIMED, qui circule beaucoup depuis quelques années. Mais ce sujet n’est souvent abordé que par le prisme de la possession des médias, et de l’inquiétant accroissement de leur concentration. Ce problème est bien sûr fondamental, puisqu’il serait naïf d’imaginer que les milliardaires à la tête de ces journaux n’exercent pas leur influence pour orienter les lignes éditoriales. Il s’agit également de la captation d’une partie de l’espace d’expression publique par quelques personnes, qui se fait par une discrimination par l’argent.

Ainsi, la critique des médias du point de vue de la possession et de leur financement est très certainement pertinente. Mais on ne peut l’y réduire : ce serait ne regarder que la partie émergée du problème. Le champ journalistique n’est pas seulement dépendant du champ économique : il est complètement traversé par lui. Le champ économique n’existe jamais de façon autonome ou n’est jamais seulement interdépendant par rapport à d’autres champs : l’économie est première partout. Le journaliste existe d’abord dans un monde économique : avant de produire un contenu d’ordre intellectuel, il existe très concrètement dans le monde matériel. Dès lors, il n’est pas possible d’adresser une seule critique aux médias en omettant les conditions matérielles d’existence du journaliste. Comment ne considérer que le produit fini, le texte, le podcast ou l’émission, sans regarder concrètement comment il a été produit dans le monde social ? Il n’est pas possible d’attendre du journalisme précaire le même respect des exigences du métier, de façon complètement désincarnée, que celui qu’on exige du journaliste stable et intégré à une rédaction. Il n’est pas possible de traiter de déontologie sans économie : il faut au contraire adresser la précarité inhérente au ” pigisme “. Le mode de production de l’information est un mode de production au sens fort, au sens où Marx l’entendait. La rédaction est traversée par le même conflit entre forces sociales que l’usine. Et, depuis les années 1970, les sociétés occidentales connaissent un mouvement de précarité de l’emploi sans précédent : les nouvelles formes de contrat de travail n’empêchent pas la pauvreté et le manque de dignité. Ce phénomène touche le journaliste au même titre que les autres travailleurs. La précarisation de l’économie française se traduit par la ” pigisation ” du champ journalistique. Le journaliste dispose de toujours moins de temps, moins de ressources, moins de sources. Le refus de le qualifier comme “chercheur” tient dès lors moins à ce qu’il écrit qu’à ce qu’il vit et à ce à quoi il ne peut pas aspirer. De là naissent les fausses informations, le manque de recul critique et ce que Nils Solari appelle le ” journalisme de préfecture” ou la reproduction de sources officielles (Etat, mairies, commissariats,…).

Le journalisme est un domaine particulièrement précaire. Par conséquent, lorsqu’ils sont embauchés, les journalistes subissent une pression non-négligeable. En effet, la nécessité des journaux à produire des scoops, dans le but de capter l’audimat le plus élevé possible, prend le dessus sur la qualité de leur travail, tant dans la vérification de leurs informations que dans leur hiérarchisation. Ce rythme effréné ne permet que de s’attarder sur la dimension percutante et accrocheuse du prochain “ gros titre ”. De plus, malgré leur travail, il y a une différenciation de la reconnaissance de leur travail tant dans leur salaire que dans leur prestige, face aux autres travaux de recherche par exemple (sociologie, philosophie, anthropologie…).

Louis & Dina & Lou