Environnement
Marseille, la nouvelle ville lumière ?

Marseille, la nouvelle ville lumière ?

Vous l’avez sans doute déjà remarqué, à Marseille on ne voit que très peu le ciel étoilé. À quoi cela est-il dû ? À la pollution lumineuse. Mais cette forme de pollution, en augmentation, a également de nombreuses autres conséquences sur la biodiversité.

 

Une pollution aux impacts réels

Si elle est surtout connue pour nous empêcher d’apercevoir le ciel étoilé – la Voie Lactée est devenue invisible pour 60% de la population européenne –  la pollution lumineuse a également des conséquences moins connues mais plus graves, notamment sur la biodiversité : papillons de nuit s’épuisant autour d’un lampadaire, oiseaux chantant en pleine nuit ou encore lucioles perturbées par les lumières émises par l’Homme, sont autant d’exemples d’espèces impactées par cette pollution. Et les conséquences peuvent être importantes, notamment sur les cycles de reproduction de celles-ci : par exemple les lucioles utilisent des signaux lumineux pour se reproduire, qui sont perturbés par la pollution lumineuse, menaçant leur survie. Ainsi, la population de lucioles a chuté d’environ 35 % au cours des 50 dernières années, la pollution lumineuse s’ajoutant à la destruction de leurs habitats et aux pesticides.

 

Marseille, « assez fortement touchée » par cette pollution

Carte de la pollution lumineuse en France, on voit que le littoral méditerranéen est particulièrement touché par cette pollution
Carte de la pollution lumineuse en France en 2022.
Sources : © 2023 Microsoft Corporation; © 2023 TomTom; Jurij Stare; Black Marble, NASA

Marseille, comme la plupart des métropoles, est « assez fortement touchée par la pollution lumineuse », reconnaît Samuel Busson, responsable d’étude biodiversité et foncier au Centre d’Études et d’expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement (CEREMA), ce qui est selon lui assez logique compte tenu de la taille et de la population de la ville.

Pourtant, les décisions prises ne semblent parfois pas à la hauteur des enjeux : ainsi, le 14 octobre, alors que des mairies telles que celles de Paris éteignaient leur lampadaires, celle de Marseille s’est contentée d’animations pour sensibiliser le public tout en se vantant d’agir « contre la pollution lumineuse » et de « protéger la biodiversité ». «L’extinction n’a été effective qu’aux abords des parcs [parcs Pastré et Athéna, NDLR] sur lesquels des animations ont été réalisées », nous explique Didier El Rharbaye, conseiller municipal en charge notamment de l’éclairage public.

En réalité, si les mesures prises contre cette pollution semblent insuffisantes, les décisions à l’encontre de l’éclairage des vitrines des magasins et des publicités lumineuses ayant fait long feu, la mairie semble vouloir rattraper son retard.

 

Le passage au LED est-il une bonne nouvelle pour les lucioles ?

Les efforts semblent se concentrer sur l’éclairage public, qui est évidemment l’une des principales sources d’émission de lumière. L’un des changements majeurs concernant celui-ci est le remplacement de tous les éclairages par des lampadaires équipés de la technologie LED. En effet, la mairie vise « le lancement d’un parc à 100% LED d’ici 2030 » dans le but de « diviser par deux sa facture d’éclairage public ». Une mesure accompagnée d’un budget conséquent – 6 à 10 M d’euros par an d’investissement. Cependant, ce choix – qui a déjà commencé à être mis en application puisque 32% des 70 000 lampadaires de la ville sont passés au LED – s’il permet bien de diminuer la consommation d’électricité, est assez contestable sur le plan de la pollution lumineuse.

En effet, les lampadaires LED émettent une lumière plus bleue et les insectes sont plus sensibles à celle-ci . Une étude réalisée en 2014 par les chercheurs de la Ecological Society of America concluait ainsi que « les LED blanches attirent 48 % plus d’invertébrés volants », une étude néerlandaise souligne quant à elle que les chauves-souris sont davantage affectées par les lumières blanches comme celles des LED.

De plus, certaines études expliquent l’augmentation de la pollution lumineuse par l’existence d’un « effet rebond » ou « paradoxe de Jevon » : le coût de fonctionnement des LED étant moins élevé, le nombre de lampadaires augmenterait. Ce paradoxe conduirait donc non seulement à l’accroissement de la pollution lumineuse mais aussi des dépenses des municipalités : « même si le prix de quelque chose diminue, on finit par dépenser plus d’argent » explique Alejandro Sánchez de Miguel, un astrophysicien espagnol qui a beaucoup travaillé sur ce sujet et qui compare ce paradoxe au « Black Friday », durant lequel les entreprises baissent leur prix afin que l’on achète plus et qu’au final, on dépense plus d’argent.

Pour autant, doit-on totalement éradiquer l’éclairage LED ? Et bien ce n’est pas aussi simple que cela. Le vrai problème n’est pas selon lui la technologie LED en elle-même, mais plutôt « le manque total de contrôle » : « si les LED sont utilisées correctement, elles peuvent être un atout majeur pour réduire les émissions de CO2 et la pollution lumineuse » , écrit-il sur son blog. En effet, les LED permettent « d’envoyer la lumière uniquement là où elle est nécessaire, de choisir la bonne couleur, de réduire l’intensité lumineuse », encore faut-il avoir une utilisation « intelligente » de cette technologie.  Ce dernier point est confirmé par Didier El Rharbaye, pour qui cette technologie offre « la possibilité de faire varier l’intensité et donc de diminuer les niveaux d’éclairement en milieu de nuit lorsque l’éclairage est moins utile ».

Illustration réalisée par Numa, illustrateur du journal

 

 

Des solutions nombreuses

De plus, il existe de nombreuses autres solutions beaucoup plus efficaces, dont certaines sont déjà déployées dans certaines communes. La plus efficace reste l’extinction en cours de nuit, déjà répandue dans certaines villes comme Grenoble et qui est théoriquement une des plus simples à mettre en œuvre : il suffit de définir une heure à partir de laquelle les lampadaires s’éteignent. Cependant, cette solution peut se révéler « compliquée selon les secteurs, en particulier en ville » reconnaît Samuel Busson. « Le contexte urbain ne favorise pas les projets d’extinction » confirme également Didier El Rharbaye. La mairie étudie cependant la « possibilité de le faire dans les espaces verts et dans des lieux moins habités », notamment dans le secteur des Goudes. Concernant l’éclairage public, d’autres solutions pourraient également être déployées, telles que la réduction de la température de couleur – un projet est à l’étude sur les plages du Prado – où elle devrait être de 2200K – contre 3000K pour les lampadaires LED les plus récemment installés.  Mais il est aussi possible de supprimer certains points lumineux inutiles ou encore d’éteindre les vitrines et écrans publicitaires – la mairie a déjà pris des restrictions à l’encontre de ces deux derniers.

À l’approche de Noël, on peut également s’interroger sur la nécessité des illuminations de cette période, « un élément essentiel de l’animation en fin d’année » pour M. El Rharbaye, mais qui contribue tout de même à la pollution lumineuse, ils sont d’ailleurs désormais éteints à partir de 23h.

Enfin, l’éclairage public ne sera bientôt plus sous le giron de la ville de Marseille et passera d’ici la fin de l’année parmi les compétences de la métropole, tenue par la majorité de droite, qui sera peut-être moins sensible à ces questions environnementales.