SDF : l’urgence nationale oubliée
« Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. C’est une question de dignité. ». Tels ont été les mots d’Emmanuel Macron prononcés en juillet 2017. Cinq ans plus tard, le nombre de personnes sans domicile fixe (SDF) en France a augmenté par rapport à 2017 : leur nombre est estimé à 330.000 par la Fondation Abbé Pierre, dans son dernier rapport publié en février 2023, soit une augmentation de 30 000 par rapport à 2022.
Mais qui sont ces personnes privées de logement décent ?
Avant tout, il est essentiel de définir pour mieux les dissocier les termes de sans-abri et SDF. En effet, une personne est considérée sans-abri lorsqu’elle réside et dort dans un lieu non prévu pour l’habitation, tel qu’un squat, une voiture, une cave ou la rue. Or, une personne sans domicile fixe peut être sans-abri mais peut également être hébergée dans un logement lui étant accordé à titre temporaire, tel qu’un logement associatif ou un hébergement collectif.
Une population souvent mal connue, grandissante
La population SDF nous est souvent étrangère, inconnue, alors qu’elle est aujourd’hui grandissante et concerne une part de plus en plus élevée de la population.
Les individus SDF ont souvent des parcours très variés et complexes, mais deux facteurs reviennent régulièrement. Tout d’abord, leur situation résulte généralement d’une succession de problèmes personnels complexes, tels qu’un surendettement ou une perte d’emploi ayant directement des conséquences sur leurs sources de revenus. Cependant, ces événements succèdent souvent à d’autres problématiques, tels qu’un divorce ou d’autres événements relatifs à la santé physique ou mentale, engendrant à terme des conséquences économiques.
Cela étant, la situation des SDF est dans de nombreux cas également due à une grande fragilité, voire à une totale absence de liens familiaux. Ce facteur engendre un isolement des individus, subi pour la plupart d’entre eux depuis l’enfance.
Ainsi, en 2019, un quart des sans-abri nés sur le territoire, soit plus de 10.000 individus, sont des personnes ayant grandi sans leurs parents et ayant été placées sous la responsabilité de l’Aide sociale à l’enfance. Plus de la moitié des sans-abri ont été exposé à un événement traumatisant durant leur enfance. De même, un quart des sans-abri ont subi des violences ou ont été maltraités au cours de leur enfance.
Les femmes moins visibles représentent 37,5% des SDF
En France en 2012, les femmes constituaient 37.5% de la population SDF, mais seulement environ 5% des sans-abri.
Selon le rapport de 2012 de l’INSEE, elles sont souvent prises en charge prioritairement par les associations et les services de l’Etat. Par ailleurs, il est difficile d’évaluer le nombre de femmes sans-abri car la plupart d’entre elles se cache généralement dans des endroits où elles se sentent plus en sécurité que dans la rue, comme dans des parkings par exemple.
En effet, 90% des femmes sans-domicile ont déjà été au moins une fois victime de violences dans la rue, le plus souvent de violences sexuelles et de viols.
Les conditions de vie et d’hygiène des SDF sont précaires, instables, insalubres, avec de lourdes conséquences sur leur santé physique.
L’espérance de vie moyenne d’un SDF est de 48,5 ans
En 2021, l’espérance de vie moyenne d’un SDF était de 48, 5 ans, une statistique bien en-dessous de l’espérance de vie de la population française dans sa totalité qui était de 79, 2 ans pour un homme et de 85, 3 ans pour une femme. L’isolement, l’exclusion sociale ont des répercussions psychologiques sur la santé mentale, avec le développement de dépressions par exemple. Nombre d’entre eux est alors amené à tenter de combler cet isolement en développant des addictions, notamment à l’alcool et aux drogues.
Un sans-abri sur quatre a un emploi
D’autre part, loin de la supposée inactivité des personnes sans-abri, un sans-abri sur quatre a un emploi, très souvent précaire, peu qualifié, avec une rémunération médiocre : 85 % des SDF ayant un emploi perçoivent moins de 1 200 euros par mois et 60 % d’entre eux moins de 900 euros par mois. Le revenu généré par cet emploi n’est donc pas suffisant pour prétendre à un logement.
Ainsi, le nombre de ménages demandeurs d’Habitation à Loyer Modéré (HLM), ne cesse d’augmenter et la demande de logements sociaux est devenue 4 fois plus élevée que l’offre disponible en 2024. La Fondation Abbé Pierre va jusqu’à évoquer l’accès au logement social comme étant en “chute libre”.
La crise du logement, une priorité pour l’Etat ?
Le problème grandissant concernant les SDF en France ne semble pourtant pas être une priorité immédiate pour le pouvoir actuel. En effet, la politique adoptée par le gouvernement ces dernière années n’a pas amélioré la situation des SDF autant qu’elle aurait pu, mais bien plutôt favorisé celle des plus riches : tandis que les plus aisés sont exonérés d’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), les individus les plus en difficulté voient leurs APL réduites.
Ainsi, malgré l’augmentation significative de la part des SDF en France et la constante aggravation de leur situation, l’effort public pour le logement ne cesse de s’amoindrir : entre 2023 et 2024, ce dernier a diminué de 15 milliards d’euros, atteignant un niveau d’une inédite faiblesse.
Moins de sans-abri, c’est pourtant possible
Il est possible de réduire considérablement le nombre de SDF et de sans-abri en prenant des décisions fortes et en mettant en place des stratégies efficaces.
Ainsi, se rendant compte que fournir des hébergements d’urgence aux nécessiteux n’entraine pas une diminution du sans-abrisme, la Finlande a adopté une nouvelle stratégie en 2008 : le Housing First, littéralement traduit par le Logement d’abord. Fondée sur le principe fondamental selon lequel un logement stable et durable est essentiel, voire totalement indispensable pour permettre la réinsertion d’un individu dans le milieu professionnel et dans la société, cette stratégie a pour but de fournir un logement permanent et de bonne qualité aux personnes sans-abri sans conditions préalables qui pourraient les repousser, telles que l’abstinence ou la participation à des programmes de traitement. Une fois le problème du logement écarté, les individus ont alors plus de facilité à trouver un emploi par exemple, car les employeurs n’engagent que très rarement des personnes sans-abri ou sans logement stable.
En mettant en place cette mesure de manière drastique, la Finlande a réussi à réduire considérablement le nombre de sans-abri dans le pays. Ainsi, leur nombre depuis les années 1980 a été divisé par trois. En complément du logement, des services de soutien individualisé sont proposés pour aider les personnes à surmonter les obstacles sociaux, de santé mentale et de toxicomanie. Cette stratégie a démontré son efficacité en permettant aux individus de reconstruire leur vie avec dignité et autonomie.
“Gouverner c’est d’abord loger son peuple” – L’Abbé Pierre
Sources :
300 000 sans-domicile en France : « Le quinquennat Macron n’a pas résolu le mal-logement » – Actu.fr
Pourquoi devient-on SDF ? – Centre d’observation de la société
Qu’est-ce qu’un SDF ? Une approche sociologique et statistique des personnes sans logis en France