Europe
Senne démersale, bulldozer des mers?

Senne démersale, bulldozer des mers?

Le 29 septembre dernier à Bruxelles, une négociation en trilogue réunissant des représentants des Commission, Conseil et Parlement européens a abouti au rejet de l’amendement présenté par Caroline Roose, députée écologiste belge. Cet amendement visait à interdire en Manche une technique de pêche controversée : la senne démersale. Associations, politiques et pêcheurs dénoncent aujourd’hui une décision climaticide ainsi que la position de l’Etat français lors de la négociation. Voyons pourquoi.

Qu’est-ce que la senne démersale ?

La pêche à la senne démersale appelée aussi senne danoise ou senne écossaise est une pêche industrielle qui consiste à placer un filet en entonnoir sur une surface de 3 km2 dans le fond marin. Un câble relie les extrémités du filet et vibre pour que les poissons emprisonnés se concentrent au milieu du filet. Le filet est ensuite remonté et tous les poissons, y compris les plus petits, sont ramenés à bord. Les dégâts causés sur l’écosystème marin sont très importants et les ressources en poissons s’épuisent beaucoup plus rapidement. C’est pourquoi la senne démersale est aussi appelée le bulldozer des mers.

© Marine Stewardship Council

Que s’est-il passé avant la négociation trilogue ?

Le 12 juillet 2022, le Parlement européen a approuvé l’amendement de l’élue Caroline Roose à la Politique Commune de la Pêche. L’objectif était d’interdire la senne démersale dans les eaux territoriales françaises proches des côtes de la Manche, comme c’est déjà le cas sur les côtes bretonnes et aquitaines grâce à des arrêtés préfectoraux. Ces actes administratifs ne concernent cependant que les navires français. Or, la grande majorité des bateaux utilisant la senne en Manche appartiennent à des armateurs néerlandais pratiquant une pêche industrielle et intensive. L’amendement Roose visait donc à contraindre les navires néerlandais, soumis aux lois européennes, à stopper la senne démersale dans la Manche. Cette initiative de l’eurodéputée belge a été très soutenue, d’abord par les pêcheurs normands et des Hauts-de-France dont 98% se déclarent fermement opposés à la senne. Un pêcheur normand interrogé par une journaliste de Radio France affirme ainsi que “ Ça vide, ça vide la mer. Quand vous passez après (les bateaux néerlandais), c’est plus la peine. Surtout pour certaines espèces comme le rouget, l’encornet, le bar, le lieu ou le cabillaud. Ça a chuté en quelques années, les stocks ont été divisés par 5 et par 10” . Le soutien venait ensuite des politiques, 143 députés ayant signé une proposition de résolution européenne portée par le député PCF Sébastien Jumel, et surtout des associations, en particulier l’association Bloom fondée par la militante écologiste Claire Nouvian, qui a recueilli des milliers de signatures de citoyens européens condamnant la senne danoise. Si l’amendement a bien été approuvé par le Parlement l’été dernier, son intégration dans le règlement de la Politique Commune de la Pêche nécessitait toutefois son approbation lors une négociation en trilogue à Bruxelles. La date fut fixée au 29 septembre 2022.

Que s’est-il passé à Bruxelles le 29 septembre ?

Une négociation en trilogue réunit les représentants du Parlement, de la Commission et du Conseil européens. Cela signifie que c’est un espace de négociation surtout entre Etats membres. Contre l’avis de 98% des pêcheurs français en Manche, de 143 députés français et des associations de défense de l’environnement, la France a rejeté l’amendement de Caroline Roose. Le gouvernement Borne s’est aligné sur la position du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins qui soutient également la pêche électrique. Ce comité est fréquemment critiqué car supposé être influencé par les industriels de la pêche intensive et notamment les Néerlandais. Des proches du Secrétaire d’Etat à la Mer, Hervé Berville, confiaient cependant au journal Le Monde « le préfet de la façade Manche Est-Mer du Nord est chargé de trouver localement un terrain d’entente entre senneurs, fileyeurs, caseyeurs et chalutiers néerlandais, belges et français. ». Mais face à cette décision, Bloom dénonce « une trahison aux intérêts de la nation, une trahison aux promesses faites à la jeunesse sur le climat, un dirty deal ». Le député Sébastien Jumel affirme quant à lui sur France Bleu qu’  » Emmanuel Macron préfère ses amis de la finance, y compris lorsqu’ils sont les représentants d’intérêts étrangers et néerlandais, plutôt que la pêche artisanale française. Le gouvernement aurait pu taper du poing sur la table. ». Il portera la proposition de résolution européenne portée par les 143 députés et visant à interdire la senne démersale en Manche en mai 2023 à l’Assemblée nationale.

Les chalutiers néerlandais continueront jusque-là d’abimer notre écosystème marin en toute légalité.