Réseaux sociaux : machines à influencer nos idéologies politiques ?

Débats, luttes & polémiques

14 janvier 2025

Réseaux sociaux : machines à influencer nos idéologies politiques ?

De nos jours, les réseaux sociaux jouent un rôle colossal dans la manière dont les jeunes générations perçoivent le monde et la politique. Etude de cas avec le réseau social TikTok et son rôle dans la dédiabolisation du Rassemblement National (RN).

Parmi les différentes plateformes numériques, TikTok se distingue particulièrement. Avec ses vidéos courtes et spontanées, cette plateforme est devenue un véritable outil pour certains partis politiques. Mais ce qui inquiète, c’est la façon dont TikTok contribue à la «dédiabolisation», voire à la normalisation du Rassemblement National (RN).

Autrefois nommé Front National sous la présidence de son fondateur, Jean-Marie Le Pen, ce parti qui était à une époque synonyme de controverses et de rejet par une large partie de la population arrive aujourd’hui en tête des dernières élections législatives de 2024 avec 32.4 % des votes. Comment un parti qui était synonyme de xénophobie, racisme et antisémitisme à une époque a pu obtenir de tels résultats aujourd’hui ?

Petit rappel de l’héritage controversé du Front National

Le Front National, aujourd’hui Rassemblement National, a été fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen, une figure marquante mais hautement contestée. Ce parti, dès sa création, se caractérise par une idéologie nationaliste marquée par des liens avec des courants néonazis, des nostalgiques de la collaboration pétainiste, et des anciens membres de mouvements d’extrême droite européens. Jean-Marie Le Pen a souvent exprimé ses positions ouvertement problématiques. Son engagement en tant que parachutiste durant la guerre d’Algérie a renforcé son image de défenseur des colonies françaises. Il a lui-même reconnu avoir « torturé des Algériens » sous prétexte qu ‘ « il le fallait », selon une interview accordée en 1998.

Du symbole du FN (la flamme tricolore) directement inspiré de celui du MSI (Movimento Sociale Italiano), un parti post-fasciste italien, à la tristement célèbre petite phrase prononcée par son leader en 1987 sur les chambres à gaz de la Shoah comme « détail de l’histoire », il ne fait aucun doute que l’idéologie extrémiste du FN reposait sur une orientation néonazie.

L’évolution de l’image du RN : de la controverse à la normalisation

Sous la direction de Marine Le Pen, fille de l’ancien leader (2011-2021), puis de Jordan Bardella (depuis 2021), le RN a opéré une stratégie de dédiabolisation visant à lisser son image. Ce processus, combiné à l’utilisation intelligente des réseaux sociaux, a permis de toucher une jeune génération souvent moins consciente de l’héritage controversé du parti. Le Rassemblement National a su exploiter TikTok comme un outil de communication à fort impact pour toucher les jeunes. Les vidéos courtes et captivantes permettent de créer un engagement rapide et de présenter une image attrayante, souvent coupée de discussions politiques complexes.

Les vidéos comprennent des montages vidéos appelés “édits” sur des musiques “tendances”, parfois humoristiques, qui humanisent les leaders politiques. Jordan Bardella y est souvent montré comme étant proche des jeunes, exprimant un discours accessible, voire tendance. Cette approche tranche avec celle des anciens dirigeants comme Jean-Marie Le Pen. Par exemple, nous pouvons lire sous une video tiktok où l’on voit Marine Le Pen danser sur une chanson, “c’est bon je vais au RN !”. Cependant, certains utilisateurs de la plateforme comprennent l’influence que les réseaux sociaux ont sur les jeunes. On peut lire sous une vidéo de la chaîne d’information BRUT où l’on retrouve Marine Le Pen qui répond à une question sur la possible diminution de l’âge de vote à 16 ans “A 16 ans juste un édit TikTOk sur un candidat peut influencer un vote”.

Après les élections législatives de 2024, les réactions alarmantes du premier tour ont déclenché de nombreux débats sur les réseaux sociaux comme X (anciennement Twitter) et TikTok. Certains électeurs de gauche ironisent, écrivant par exemple : « Je jure qu’il faut arrêter de les [le RN] combattre sur le terrain des idées et passer à CapCut [application de montage vidéo]. » Sous une vidéo TikTok faite pour “promouvoir” un député LFI, on peut lire : « Vu qu’il n’y a que les edits qui marchent avec vous. » Une autre vidéo, avec une musique de fond, appelle les jeunes à voter pour un « nouveau Front populaire » les 30 juin et 7 juillet. Cela montre comment la gauche commence à s’appuyer sur les réseaux sociaux pour mobiliser, notamment auprès des jeunes électeurs.

Les algorithmes : les vrais coupables ?

Cependant, cette superficialité apparente repose sur des algorithmes de recommandation qui renforcent les idées déjà exposées aux utilisateurs. Chaque interaction avec une vidéo pro-RN incite la plateforme à en recommander d’autres similaires. Ce mécanisme, connu sous le nom de « bulle de filtre », réduit l’exposition à des opinions divergentes. Les algorithmes favorisent ainsi une polarisation progressive de l’utilisateur.

Ces stratégies ne sont pas limitées au RN. Des personnalités politiques comme Gabriel Attal ou des équipes de communication emploient des techniques marketing similaires pour bâtir une image moderne et accessible auprès des jeunes, qui représentent les électeurs de demain. Derrière ces campagnes se trouvent des agences spécialisées en communication numérique, chargées de calibrer les messages pour les adapter aux codes des réseaux sociaux.

Un exemple récent illustre bien cette dynamique : en Roumanie, lors des élections présidentielles, un candidat inconnu, soutenu principalement par une campagne TikTok, a réussi à atteindre le second tour,bouleversant l’ordre établi grâce à une stratégie numérique percutante.

François Hollande, ancien président de la République, a déclaré lors d’une interview pour le compte tiktok du Nouvel Obs en mars dernier : « La popularité de Bardella chez les jeunes tient à une forme de « TikTokisation » de la politique […] Ce qui compte, ce n’est même plus les idées, […] mais une utilisation des réseaux sociaux qui fait que l’extrême droite et le populisme ont plus d’entrées qu’ils n’en avaient jamais chez une génération de jeunes.»

Cette stratégie rend l’extrême droite plus attrayante en termes de marketing politique, sans pour autant effacer son passé. Pourtant, il est crucial de garder à l’esprit cet héritage pour comprendre l’ampleur du bouleversement des perceptions.

La culture du vide : qu’est-ce que c’est et comment elle façonne nos choix ?

La « culture du vide » est un terme qui est né sur les réseaux sociaux. Celui-ci désigne une tendance sociétale à privilégier l’apparence, du contenu vide de sens aux idées “superficielles” au détriment de la réflexion et de l’analyse critique. En politique, cela se manifeste par une focalisation excessive sur le charisme des personnalités et l’attrait visuel des campagnes, notamment sur des plateformes comme TikTok.

TikTok, par ses formats rapides et immersifs, encourage une consommation rapide d’informations, qui devient souvent décontextualisée. La culture du vide alimente ainsi l’adhésion à des idées présentées de manière simpliste. Pour le RN, ce phénomène représente une aubaine, car il permet de « vendre » une image allégée des complexités de leur programme politique.

On retrouve aussi la culture du vide chez certains députés de gauche sur TikTok, où ils publient des extraits de leurs discours à l’Assemblée avec une musique en fond. Ces vidéos montrent une petite partie de leur intervention, souvent choisie pour son effet, mais sans expliquer le contexte ni les enjeux du moment. Cela provoque des réactions basées uniquement sur un extrait, poussant les spectateurs à se concentrer sur la forme plutôt que sur le fond du discours. Ainsi, le débat perd en profondeur et en richesse.

Une évolution du vote chez les jeunes : décryptage des données

Les réseaux sociaux semblent avoir joué un rôle significatif dans l’évolution des comportements électoraux. Les données récentes montrent que le RN recueille un soutien croissant parmi les 18-24 ans :

Législatives 2024 : 33 % des 18-24 ans auraient voté pour le RN au premier tour (source : Le Monde, Infographies 2024).

Comparatif historique :

En 2017, 21 % des jeunes de 18-24 ans avaient voté pour le RN.
En 2022, seulement 13% des intentions de vote dans cette tranche d’âge leur étaient attribuées (source : Fondation Jean-Jaurès).

L’évolution en faveur du RN est frappante et s’inscrit dans un contexte où la superficialité et les effets visuels influencent de plus en plus les comportements politiques. Cette progression soulève des questions sur le degré de politisation des jeunes et sur leur exposition aux débats critiques.

Une responsabilité collective

L’ascension du RN, aidée par les réseaux sociaux, met en exergue une responsabilité sociétale collective. À l’ère des algorithmes, les citoyens doivent être capables de déceler la superficialité des contenus en ligne et de creuser au-delà des images. Cette démarche passe par une éducation aux médias et une ouverture aux sources d’informations variées.

L’avenir politique de la jeunesse dépendra de sa capacité à sortir des « bulles de filtre », ces “prisons créées par les algorithmes qui nous radicalisent de plus en plus. Une lecture critique, une volonté d’échanger avec autrui et l’exploration d’idées diverses sont essentielles pour faire face à cette époque de simplification politique.

Si TikTok a permis au RN de capter l’attention d’une nouvelle génération, cette influence soulève des défis pour la démocratie. Les réseaux sociaux, outils puissants mais biaisés, transforment la politique en un spectacle visuel au détriment des débats de fond. Il appartient aux citoyens de cultiver leur esprit critique et de contrer cette « culture du vide » en recherchant des vérités et en donnant du poids au contenu à l’heure des choix électoraux.