
Trois contes d’hiver
Trois contes d’hiver proposés par Manek avec les illustrations de Numa : Le chêne et le sapin, La bille, Petit prince. Bonne lecture!
LE CHÊNE ET LE SAPIN
Une forêt au Danemark, la nuit
LE CHÊNE – C’est injuste ! pourquoi ne perds-tu pas tes feuilles ?
Moi, en cette nuit froide comme une lame, je n’ai même plus de pyjama,
je suis tout seul et j’ai si froid !
LE SAPIN – Laisse-moi, rien ne doit gâcher mon bel atour ! Je dois être parfait
Pour qu’ils ne fassent de détour.
LE CHÊNE – Méchant ! Et qu’attends-tu là d’aussi bien ? N’est-ce pas assez que de pouvoir cacher ses seins ?
LE SAPIN – Pauvre bête, tu n’es pas digne des humains. Bientôt la grâce me touchera.
La fin du douzième mois arriva et des petits êtres dansaient autour du sapin
LE CHÊNE – Diable ! Qu’as-tu là ? Pourquoi brûles-tu, d’où vient ce feu en toi ?
LE SAPIN – Laisse-moi ! Tu ne vois pas ? Ce soir, je suis un roi. Mon habit comme la flamme, réchauffe les cœurs et ravive les âmes ! Grâce à eux ! Cette nuit, je ne peux m’éteindre. Enfin, je brille comme une étoile.
Alors le sapin, envouté, se mit aussi à danser. Si bien il se secoua, sauta et plongea que la flamme – la vraie – s’en empara !
Au matin, du sapin il ne restait rien. Brûlé au vif. Le chêne s’il avait encore froid – car nulle feuille n’avait pu gouter aux baisers enflammés – fut seul de vie dans ces bois.
Et le demeura.
LA BILLE
Un enfant jouait aux billes.
Il n’était pas très bon et se mit à râler.
Il devint vraiment mauvais. Honteux, plein de rage, il lança ses billes dans le ruisseau. Arriva alors un autre enfant. Il lui demanda :
– Tu jettes tes billes ?
– Laisse-moi.
– Dans l’eau ?
– Tu le vois.
– Pourquoi ?
– Je suis mauvais. Je suis nul, archi nul ! Plus nul que le pire des joueurs de billes du monde et de tous les temps !
– Tant que ça ?
– Plus encore.
Le deuxième enfant haussa les épaules et alla s’asseoir plus loin. De là, il sortit ses propres billes. Elles étaient très belles. Il les sortit une par une, les posa par terre et en prit une. Il se mit à lui parler.
Étonné, le premier enfant le rejoignit :
– Tu fais quoi ?
– Je parle à mes billes.
– Pourquoi ? Tu leur dis quoi ?
– J’aime bien parler à mes billes. Je leur dis des mots qu’on ne peut dire qu’aux billes.
– C’est quoi ça ? Des mots qu’on ne peut dire qu’aux billes ?
– Des mots très gentils. Mais aussi très méchant. Ce sont des mots que je ne peux pas dire aux gens. Alors je leur dis.
– des gros mots par exemple ?
– Très gros.
– Tu rigoles ! Je peux leur parler aussi ?
– Toi tu as tes billes.
– Plus maintenant. J’étais trop nul, alors je les ai jetées. Dans le ruisseau.
– Je sais. Tu n’aurais pas dû. Les billes, ça se garde.
– Tu veux que je les récupère ?
-Non, mais toi oui.
Le premier enfant ne répondit pas. Il réfléchissait. Nous étions en décembre. Il faisait froid, l’eau était froide. Finalement, l’enfant se retourna, il s’approcha du ruisseau et regarda l’eau.
– Elle a l’air froide. Je n’ai pas envie d’y aller.
– Moi non plus je n’aurais pas envie à ta place.
– Je crois que je vais y aller quand même.
Il plongea. Il resta longtemps sous l’eau. Il semblait vouloir ramasser toutes ses billes d’un coup. Au bout d’un moment, il remonta. Il tenait pleins de cailloux, mais pas de billes.
– Elle est glacée ! J’ai froid ! J’ai froid !
Il jeta ses cailloux sur la rive, remonta lui aussi sur la rive et se rhabilla. Il se pencha et regarda les cailloux qu’il avait ramassé.
– Je ne comprends pas, sous l’eau c’était mes billes. Mes billes ! Perdues !
Il se lamenta particulièrement fort et longtemps. Pourtant, il avait toujours été mauvais aux billes. Au bout d’un moment il se calma et remarqua que l’autre enfant était parti. À sa place, il restait une bille. Elle était grosse et colorée, sans être d’aucune couleur en particulier. Elle était belle. L’enfant la pris et rentra chez lui. Il souriait.
L’enfant grandit, il devint vieux et revint au ruisseau. Il s’assit sur la berge et ressortit la vieille bille de l’autre. Il l’avait gardé tout ce temps.
Il se mit alors à parler à la bille. Il lui parla longtemps. Si longtemps qu’il n’eut bientôt plus rien à lui dire. Satisfait, Il se leva et alla jeter la bille dans le ruisseau. Mais Il était fatigué et son corps craquait, alors il s’allongea. Le sol était froid, on était en décembre.
Le lendemain matin le vieillard était encore allongé, à jamais.
Petit Prince
Sur la côte, dans un petit village, vivaient trois amis. Ils s’amusaient beaucoup. Toute la région les connaissait car ils l’avaient parcourue en long, en large, et même en travers. Les trois amis jouaient la plupart du temps. Il y avait une fille et deux garçons. Lorsqu’ils ne jouaient pas, les trois amis lisaient. Ils aimaient beaucoup lire et chacun avait ses préférences.
La fille ne lisait que des livres sur la « politique », comme elle disait. Du moment qu’un livre parlait de politique ou avait pour personnage principal un politique (si c’était une femme c’était mieux) elle le lisait. Pour elle c’était clair, elle serait présidente, la première.
Le premier des deux garçons quant à lui, ne lisait que des livres d’aventures. Il connaissait par cœur Les Trois Mousquetaire, Le Comte de Monte-Cristo et avait lu tous les Jules Verne. Il rêvait de devenir un de ces héros particulièrement beau et charismatique comme il disait. Pour lui, c’était certain, il serait acteur, il se marierait.
Le troisième aimait moins lire que les deux premiers. D’ailleurs il n’avait jamais lu qu’un livre ; Le Petit Prince, de Saint-Exupéry. Pourtant il l’avait relu un grand nombre de fois. Chaque fois qu’il le reprenait les deux amis s’étonnaient :
« Tu n’en a pas marre de ce petit prince ? Combien de fois l’as-tu lu ? Passe à autre chose ! Grandis ! »
Il répondait toujours la même chose :
« À quoi bon ? Il y a tout ce que je veux dans ce livre. »
***
Le temps passait.
La première, la fille, partit du village. En effet, pour devenir présidente il fallait étudier. Elle s’en alla donc rapidement à Paris, apprendre ce qu’il fallait apprendre pour devenir Présidente.
Puis ce fut le premier garçon. Il partit fou de joie car il avait été sélectionné pour tourner un film, mais il fallait aller à l’étranger. Il n’hésita pas, il dit au dernier des trois amis qu’être acteur c’était aussi faire des sacrifices.
Le dernier des trois amis attendit avant de partir. Après avoir suffisamment travailler, il acheta un voilier. Il était content car le vendeur lui avait dit: « Avec ce bijoux tu peux faire le tour du monde ! Et le refaire ensuite. »
C’était parfait. Il partit donc un matin, sans oublier de prendre son livre.
***
Des années plus tard, on apprit que la fille avait brillamment réussi ses études, elle était presque assurée d’être élue présidente aux prochaines élections. Elle était pour l’instant Ministre des Finances et tout le monde l’adorait, c’est normal puisqu’elle avait toutes les qualités disait-on.
Le premier des garçons quant à lui était devenu une star internationale, il avait eu l’oscar du meilleur acteur l’année précédente. Il était actuellement à l’étranger et était pressenti pour incarner le nouveau James Bond avec sa femme, actrice elle aussi.
Du dernier des amis – le marin – aucune nouvelle ne parvenait au village. Il n’était toujours pas revenu du large mais on pensait qu’il n’avait pas encore fini son premier tour du monde.
***
Quelques temps après, la fille fut contrainte de retourner au village. On lui avait trouvé des défauts jusque-là insoupçonnés et sa campagne – sur le point d’aboutir – s’était vu annuler à cause de tout l’argent qu’elle avait volé au pays lorsqu’elle était Ministre, disait-on.
Peu de temps après, le premier des garçons dut lui aussi rentrer au village. Il n’avait finalement pas été choisi pour être le prochain James Bond et on avait même découvert qu’il souffrait d’une addiction prononcée à l’alcool qui le rendait très violent, surtout avec sa femme, disait-on. Sa réputation chiffonnée, il n’était plus rien disait-il, au village.
***
Depuis, les deux amis s’ennuient. La nuit, ils ne rêvent plus du tout. Ils n’eurent jamais plus de nouvelles du dernier des trois amis. Pourtant, ils passaient leurs journées au port, à guetter une voile venant du large. Ils ne comprenaient pas ce qu’il faisait car il devait déjà avoir fait 4 tours du Monde, au moins !
Seulement quelques fois, lorsque la mer s’emplissait de moutons, il leur semblait qu’ils apercevaient une voile au large. Fous d’espoir ils s’avançaient dans l’eau, mais pas une seule fois la voile ne s’approcha du rivage.
Elle finissait toujours par se fondre au blanc de la mousse.