Europe
Voyage à l’intérieur du Parlement Européen (4)

Voyage à l’intérieur du Parlement Européen (4)

Pour mieux comprendre à quoi sert le Parlement Européen, cette institution siégeant à Strasbourg et Bruxelles, le plus souvent méconnue ou vite jugée comme trop éloignée de nos intérêts, LTET vous propose un petit voyage guidé par ceux qui le font vivre de l’intérieur et qui ont bien voulu nous raconter leur travail.

Troisième entretien avec l’eurodéputée Nora Mebarek élue depuis le 1er février 2020 sur la liste “Envie d’Europe écologique et sociale” menée par Raphaël Glucksmann, et membre du groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates du Parlement Européen.

Propos recueillis par Flora Loilier

Nora Mebarek eurodéputée « Envie d’Europe écologique et sociale »

LTET : Bonjour madame. Vous êtes députée européenne, pouvez-vous nous expliquer quelles sont vos missions au sein du Parlement Européen ?

NB : Je dois me prononcer sur l’ensemble des textes présentés en séance plénière. Les sujets sont très variés, cette semaine1 par exemple, nous avons étudié des textes sur la stratégie européenne pour faire face aux pénuries de matières premières, la politique agricole commune ou encore la législation sur les migrations légales. En amont des votes en séance plénière, les textes passent par des commissions parlementaires qui vont plus dans le détail pour préparer les décisions finales du parlement en plénière. Il y a vingt commissions permanentes, et je siège dans trois d’entre-elles : la commission du développement régional, la commission des transports et du tourisme et celle de la pêche.  Actuellement, je travaille sur les engagements climatiques de l’UE pour 2030 et je suis notamment responsable pour le groupe socialiste du financement européen des milliers de bornes de recharge pour les voitures électriques à installer, un sujet clé pour la transition ! Les parlementaires ont aussi la possibilité de siéger dans des délégations, qui représentent le parlement auprès des autres pays ou régions du monde. Je suis particulièrement impliquée dans la délégation UE-Mashreq, notamment sur le Liban où je me suis rendue en septembre pour offrir l’aide de l’Europe dans la résolution de la crise dramatique qui a lieu là-bas.

LTET : Vous êtes une femme de terrain très impliquée sur le territoire régional PACA. Dernièrement, vous avez fait le choix de vous consacrer entièrement à votre mandat d’eurodéputée. Pensez-vous que votre action au sein du Parlement européen a des conséquences aussi concrètes dans le quotidien de vos électeurs de PACA que celles que vous meniez en tant qu’élue locale ?

NB : Oui j’en suis convaincue ! Mais nous ne sommes pas à la même échelle d’action, ce qui rend la comparaison difficile. Depuis l’élection de 2019, le mandat de Député européen est national et non plus à l’échelle d’une circonscription, comme c’était le cas précédemment, englobant les régions PACA et Rhône-Alpes. Ce qui veut dire que je suis Députée de la Nation, comme les Députés et Sénateurs du Parlement français, même si le travail législatif s’applique à tous les pays membres de l’UE. Ce qui différencie, sans les opposer, le mandat d’eurodéputé de celui d’élu local c’est bien sûr la proximité de l’engagement. Je suis à Bruxelles ou à Strasbourg quatre jours par semaine et je ne dispose pas du même temps pour aller à la rencontre des citoyens sur le terrain que lorsque j’étais à la mairie d’Arles. Mais pour autant, je n’ai pas renoncé à l’action locale.

Parlement européen à Strasbourg – © Pixabay

Au titre de ma commission du développement régional, je suis très régulièrement en lien avec les maires et les élus locaux ; je participe aux réunions des préfets lorsque l’actualité l’impose comme pendant la crise sanitaire, je reçois régulièrement à Arles des citoyens et je participe aux évènements organisés par le bureau du Parlement à Marseille. Ces échanges et ce lien avec les interlocuteurs locaux permettent d’agir au plus près des besoins des concitoyens et de rester connecté à leurs réalités, la politique de développement régional est d’ailleurs le premier poste de dépense du budget européen. Je suis par exemple récemment intervenue auprès de la Commission européenne par une question écrite prioritaire, pour demander d’intégrer dans son financement du volet social du Plan de Transition Juste de PACA, les chômeurs les plus éloignés de l’emploi, alors qu’elle souhaite a priori les exclure. Et je ne lâcherai pas cette requête, car l’Europe doit aussi être aux côtés des plus vulnérables !

Je suis également la représentante de la Conférence sur l’avenir de l’Europe2 pour le groupe S&D. Il s’agit d’un moment clef, l’opportunité de donner la parole aux citoyens pour permettre des changements vers une UE plus proche des préoccupations de ses citoyens. Entreprendre cette démarche dans le climat actuel de crise identitaire et de défiance envers l’Europe et la démocratie représentative, reste un véritable défi. Cette Europe que nous voulons construire avec vous, elle vous appartient, alors saisissez cette occasion.

LTET : Vous avez été élue sur une liste qui avait de grandes ambitions écologiques et vous êtes membre de la Commission des transports et du tourisme ainsi que de la Commission de la pêche au sein du Parlement Européen. Comment œuvrer pour que le transport, le tourisme et la pêche puissent rimer avec écologie et préservation de la planète ?

NB : Le mot-clé est transition juste. On vise la neutralité carbone pour 2050 et une réduction des émissions de 55% dès 2030. Cela implique d’adopter des mesures exigeantes dans tous les secteurs de l’économie. Mais on ne pourra pas faire la transition sur le dos de ceux qui souffrent le plus, et c’est pour cela qu’il est essentiel d’introduire la justice sociale dans toutes les déclinaisons de notre effort climatique. Dans les transports, cela implique par exemple de se soucier du sort des chauffeurs routiers, les mesures pour éliminer le carbone du secteur vont avoir des conséquences majeures sur les individus. Il faut anticiper ce que seront les conditions de travail demain mais aussi combien de travailleurs devront être accompagnés vers de nouveaux emplois. Concernant le tourisme, le social et l’écologie doivent avancer main dans la main : évoluer vers un modèle touristique plus inclusif est aussi une formidable opportunité pour rendre le secteur plus durable. Sur la pêche, c’est aussi de ne pas oublier les pêcheurs. La petite pêche doit être valorisée dans le cadre d’un contrôle strict de la ressource pour préserver les océans. Les activités humaines ne sont pas incompatibles avec la préservation de l’environnement mais il faut se soucier de nos modèles de production pour atteindre une gestion durable.

LTET : Vous vous êtes récemment rendue au Liban qui vit actuellement une crise sans précédent. Les députés européens peuvent donc avoir un rôle à jouer sur la scène internationale ?

NB : Oui les députés mènent des missions d’évaluation ou d’observation, des élections par exemple, à l’étranger pour nourrir concrètement les positions et l’action du Parlement européen et surveiller celles de la Commission. C’est l’essence même de leur rôle démocratique : contrebalancer le pouvoir exécutif, en l’occurrence celui de la Commission européenne. De retour du Liban, mon constat était sans appel : la situation politique, sociale, économique et sanitaire nécessitait un débat en urgence ainsi qu’une résolution sur les conditions de l’aide de l’UE accompagnées de sanctions fortes et individuelles. Si nous avons été entendus sur la tenue du débat, la résolution du Parlement n’a toutefois pas été à la hauteur selon moi. La rencontre au Parlement à Strasbourg en octobre dernier avec des représentants de la presse afghane en danger ou la récente invitation du Parlement européen à la cheffe de l’opposition biélorusse, Sviatlana Tsihanouskaya participent également à cette ambition.

LTET : La France présidera le Conseil de l’Union européenne du 1er janvier au 30 juin 2022. Qu’attendez-vous de cette nouvelle présidence ?

NB : Cela peut constituer une opportunité exceptionnelle de pousser un agenda politique et des réformes importantes. J’attends ainsi des avancées substantielles sur la mise en place d’un salaire minimum européen, la bonne exécution du plan de relance européen dans les territoires et bien sûr la réussite du grand rendez-vous démocratique que constitue la Conférence sur l’avenir de l’Europe. Cependant, lorsqu’on analyse la gestion française des dossiers d’actualité comme la crise des migrants et celle des pêcheurs dans la Manche sur lesquels les annonces successives du gouvernement ont souvent été contradictoires, j’ai bien peur d’être déçue en attendant trop de cette présidence.

1 Plénière de novembre 2021

2 www.futureu.europa.eu