Europe
Voyage à l’intérieur du Parlement Européen (2)

Voyage à l’intérieur du Parlement Européen (2)

Pour mieux comprendre à quoi sert le Parlement Européen, cette institution siégeant à Strasbourg et Bruxelles, le plus souvent méconnue ou vite jugée comme trop éloignée de nos intérêts, LTET vous propose un petit voyage guidé par ceux qui le font vivre de l’intérieur et qui ont bien voulu nous raconter leur travail.

Premier entretien avec Utta Tuttlies, porte-parole et directrice Presse et Communication du groupe de l’alliance progressiste des Socialistes & Démocrates (S&D).

Propos recueillis par Flora

UTTA TUTTLIES

LTET : Vous êtes la Directrice Presse et Communication du groupe S&D, pouvez-vous parler de votre parcours académique et professionnel ?

Utta Tuttlies : J’ai d’abord étudié les sciences politiques, la littérature française et l’Histoire en Allemagne et au Royaume-Uni, puis j’ai obtenu un Master en Etudes Européennes au Collège d’Europe de Bruges en Belgique. J’ai ensuite travaillé dix ans comme Conseillère en Affaires Publiques et Communication dans une agence de communication politique à Bruxelles et Francfort. J’ai ensuite occupé les fonctions de Directrice de communication pour une association européenne d’échanges. Il y a dix ans, j’ai rejoint le groupe S&D au Parlement Européen.

LTET : En quoi consiste votre métier, quelles sont vos missions ?

UT : En tant que Directrice du Département Presse et Communication, je suis responsable de la communication externe du groupe S&D. Je gère une équipe de trente personnes et nous élaborons les déclarations et messages politiques des 147 membres du S&D, partout en Europe. Ce travail implique le classique travail de relation presse, mais aussi la gestion et la production de contenu sur les réseaux sociaux, la production audio-visuelle, les publications officielles, les sites internet et enfin l’organisation d’évènements. Par ailleurs, comme porte-parole du S&D, je parle régulièrement aux médias au nom du Groupe et présente les points de vue de nos élus aux journalistes. J’anime également les conférences de presse pour notre Présidente de Groupe1 et les autres eurodéputés du S&D sur différents dossiers et mesures prises par le Groupe. Enfin, je travaille avec l’équipe du Secrétariat Général du Parlement sur les grandes directions du Groupe.

LTET : Au sein du Parlement européen, les députés rejoignent un des sept Groupes politiques2 en fonction de leurs affinités politiques, chaque groupe rassemble différents partis nationaux, différentes langues et différentes tendances, comment parvenez-vous à créer une communication de Groupe commune et cohérente ?

UT : C’est en effet une tâche qui n’est pas toujours facile. Néanmoins, notre Groupe s’entend sur les engagements politiques, les droits et les valeurs de l’UE et la grande majorité des dossiers que nous négocions. Cela a été confirmé par le rapport de l’organisation indépendante « Vote Watch » qui analyse et communique les votes des eurodéputés. Mon rôle est de communiquer la position du Groupe dans son ensemble, pas celles des 27 délégations nationales, qui peuvent naturellement être différentes de la position du groupe. Quand il y a des différences politiques, c’est aux députés d’en discuter, de négocier et de trouver un accord pour faire émerger une position commune. Il arrive parfois qu’aucun accord ne soit trouvé, les députés s’en remettent alors au vote de chacun.

Source Parlement Européen – Répartition des sièges à la suite du Brexit

LTET : En quoi les médias sociaux ont-ils modifié le travail de communication politique et la relation entre le public, le Parlement Européen et les députés ?

UT : Les réseaux sociaux ont fondamentalement changé la communication politique. Les fake news fleurissent, comme lors du Brexit et de l’élection de Donald Trump. Néanmoins, si la communication sur les réseaux se base sur des faits, la vérité et la transparence, elle peut être très utile. Nous pouvons entrer en contact avec des millions de citoyens européens simultanément. Le ciblage joue un rôle important dans un environnement polyglotte comme l’Europe. Nous communiquons principalement en anglais mais en fonction des dossiers et du pays destinataire du message, nous pouvons communiquer en 24 langues. Les réseaux sociaux ne remplacent pas la presse mais sont devenus un « sine qua non » de la communication politique. Les contacts personnels avec les journalistes restent cruciaux mais être sur Twitter, Facebook, Instagram pour échanger avec des journalistes et les citoyens est également important. Les réseaux sociaux représentent une grande invention offrant de nombreuses opportunités mais ils doivent être maniés avec prudence.

LTET : On parle beaucoup de l’omniprésence des lobbies au sein du Parlement Européen, selon vous, quelle est leur place réelle et quel est votre rôle vis-à-vis d’eux ?

UT : Le processus politique européen a besoin des lobbies pour garantir que les lois adoptées répondent bien aux besoins des citoyens européens, des ONG ou encore des entreprises. Une loi européenne doit s’appliquer depuis le Nord de la Finlande jusqu’au Sud de l’Italie ou de la Grèce, et lorsque l’on connaît la diversité de l’Europe, il est important de s’assurer de cela. Cependant, le lobbying doit absolument être réalisé de manière transparente, c’est pourquoi le Groupe S&D, notre Groupe veut rendre le registre de transparence obligatoire comme condition préalable à certaines activités au sein du Parlement.

Parlement européen à Strasbourg – © Pixabay

LTET : Doit-on être un européen convaincu pour occuper une position comme la vôtre ?

UT : Je pense que oui ! L’UE n’est pas une entité facile mais pour moi elle est et reste un fabuleux projet. La démocratie est toujours compliquée et la démocratie européenne, avec toutes ses structures multilingues, multiculturelles et multicouches, est bien sûr encore plus complexe. Mais je suis persuadée que c’est la meilleure et la plus efficace garantie de paix de notre continent. « Ensemble on est plus fort », c’est ma conviction.

LTET : Que pensez-vous du regard de notre génération sur l’Europe ? Est-il différent du vôtre ?

UT : Oui, je pense. Il y a bien sûr des contextes et des défis différents. Ma génération était confrontée à la guerre froide ou la crise du Kosovo. Votre génération doit faire face à la crise sanitaire. Et votre génération est aussi grandement impactée par les réseaux sociaux. Si je peux vous donner un conseil, ne perdez pas votre temps devant les écrans, vous tenez votre futur entre vos mains, utilisez-le et tirez-en le meilleur parti, créez-le et n’oubliez pas que parler aux gens est une beauté en soi !

LTET : Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un.e lycéen.e qui comme vous, souhaiterait travailler au sein du Parlement Européen ?

Apprenez des langues, utilisez les dispositifs qu’offre « Erasmus » et apprenez à connaître les autres pays Européens, leurs cultures et leurs langues. Expérimentez la beauté de l’Europe pendant vos études. Faites de bonnes études dans la filière qui vous plaît, vous n’avez pas nécessairement besoin de faire du droit ou des sciences politiques pour travailler à Bruxelles, les institutions européennes ont besoin d’une grande variété de profils et d’expériences. Si vous avez la chance d’obtenir un diplôme en Etudes Européennes, c’est évidemment un plus. Cherchez des bourses pour vos études et pour aller à l’étranger, il existe une grande variété d’opportunités. Et surtout, intéressez-vous à la politique !

1 Iratxe García Pérez, membre du PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol)

2 Groupe du Parti populaire européen (Démocrates-Chrétiens) , Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen  , Renew Europe Group  , Groupe des Verts/Alliance libre européenne  , Groupe «Identité et démocratie»  , Groupe des Conservateurs et Réformistes européens  , Le groupe de la gauche au Parlement européen – GUE/NGL