
Fin de Jets d’encre et d’Expresso : points de vue et souvenirs
Alors que l’on nous répète que notre société progresse, que nos droits s’élargissent et que la jeunesse est écoutée, la réalité vient souvent brutalement nous contredire. La liquidation judiciaire de l’association Jets d’encre, unique structure en France à défendre la liberté d’expression des jeunes journalistes et organisatrice du festival Expresso, en est l’exemple parfait.
Créée en 2004, Jets d’encre aidait les jeunes de 11 à 28 ans à s’exprimer à travers leurs propres médias tels que les journaux, radios, vidéos… Présente partout en France, l’association soutenait des projets et organisait des événements pour les jeunes journalistes comme le festival Expresso.
Camille, ancienne élève du lycée, bénévole à Jets d’encre, et actuellement étudiante en économie à l’IEP d’Aix, rappelle à quel point cette association est fondamentale
Impossible pour elle d’en parler au passé: “C’est la seule association qui s’occupe des médias de jeunes en France. Elle propose des actions de formation, de protection, de lutte contre la censure. Elle permet à des collégiens de 13 ans de faire des podcasts. Ce n’est pas juste une structure, c’est une mission publique.”
De plus, la carte de presse jeune, délivrée par Jets d’encre, offrait aux jeunes journalistes une reconnaissance « officielle », leur assurant une certaine protection et un accès possible à des ressources nécessaires pour exercer leur passion du journalisme.
Jets d’encre offrait aussi des services comme SOS Censure
Ce service juridique permettait aux jeunes journalistes de poser des questions sur leurs droits en matière de presse. Cela s’avérait parfois crucial pour protéger leurs écrits et les défendre contre la censure. Dans notre lycée par exemple, il y a quelques années, la direction avait tenté de bloquer la diffusion d’un reportage vidéo dans La Terre en Thiers. Des enseignants en grève contre la réforme du lycée y apparaissaient dans une manifestation, interviewés par une journaliste lycéenne. Le proviseur de l’époque s’y était opposé, arguant de la neutralité requise. Jets d’encre avait été sollicitée et avait contribué à ce que les jeunes journalistes trouvent une solution de compromis, en resituant plus précisément le contexte de ces interviews. Cependant quelle association ferait cet accompagnement aujourd’hui ?
On ne parle pas ici d’un simple groupe ou d’un projet scolaire
Jets d’encre était une institution de la presse jeune en France. Depuis 2004, elle avait accompagné plus de 800 journaux lycéens, collégiens ou universitaires.
Son festival Expresso, une nuit entière de rédaction à Paris, rassemblait plus d’une centaine de jeunes journalistes venus de toute la France. Ce festival constituait un espace de fête et d’échange au sein d’une même génération, animée par un intérêt commun, celui de débattre, cultiver l’esprit critique et développer des capacités rédactionnelles.
Ophélio qui a participé à l’édition 2022 du festival Expresso, nous livre quelques souvenirs
« Le festival Expresso, c’était,
Être plongé dans une course contre la montre pour boucler un journal en 24 heures.
Écrire des articles dans une ambiance de colonie de vacances.
Stopper toutes ses occupations, à chaque fois que le jingle de la Mano Negra, retentissait, pour attraper à la volée les nouveaux sujets à traiter.
Rire aux éclats devant les animations proposées par l’organisation pour nous tenir éveillés tout au long de la nuit.
Donner le meilleur de soi-même dans des jeux plus déjantés les uns que les autres.
Des pics d’adrénaline au fur et à mesure que le chrono tourne.
Enfin, le festival Expresso, c’était surtout une très belle aventure collective qui a contribué à renforcer la vocation de l’étudiant en journalisme que je suis aujourd’hui.
Merci à l’association Jets d’encre ! »
Camille raconte son expérience du festival et exprime sa colère face à la liquidation
« J’ai adoré chaque instant passé au festival Expresso, ce moment unique de création et de liberté. Cette expérience m’a formée, m’a révélée, m’a permis de rencontrer des personnes qui ont compté dans ma vie. C’était bien plus qu’une simple association. »
Aujourd’hui, tout cela est menacé. Une liquidation judiciaire causée par une dette impayée à un prestataire de photocopies, a mis fin à l’aventure
La liquidation judiciaire d’une association, c’est sa disparition officielle : ses comptes sont alors fermés, ses biens vendus et ses activités arrêtées. Cela peut être comparé à une mort administrative.
La cause officielle donnée par Jets d’encre à travers ses communiqués de presse, est d’abord une dette de photocopieur. Comme l’explique Emily Moalic, présidente de Jets d’encre de décembre 2024 à sa liquidation judiciaire, « cette dette a été contractée il y a des années par des membres du Conseil d’administration de Jets d’encre qui n’étaient plus dans le CA depuis très longtemps. Ces derniers n’avaient pas réalisé que l’entreprise de copieurs était en fait une arnaque. Les membres du CA actuel ont donc hérité d’une situation qui n’est pas de leur fait. »
Ensuite, il ne faut pas oublier que la liquidation judiciaire a également été causée par un contexte associatif particulièrement défavorable. Ainsi, Jets d’encre a vu, au fur et à mesure des années, ses subventions publiques dramatiquement baisser jusqu’à ce que la réalisation de projets tels que le Festival Expresso devienne impossible.
Aujourd’hui, face à ces raisons, Camille ne cache pas un sentiment d’abandon et de trahison car il est difficile d’accepter que « de nombreux jeunes aient donné de leur temps, leur passion, leur énergie, pour faire vivre cette association et que ces efforts soient tout à coup gâchés. » Et d’ajouter furieuse: “Aujourd’hui, je suis remontée contre ceux qui ne se battent pas, contre ceux qui baissent les bras alors qu’ils devraient porter l’espoir.”
Toutefois, ces reproches ne peuvent être adressés aux derniers membres du bureau de l’association tant ils étaient attachés à leur association et tant ils se sont battus pendant des mois pour qu’elle survive. Comme le raconte sa présidente, « nous avons cherché des financements, dû gérer des crises, organisé des évènements malgré les difficultés, jusqu’à ce que ça devienne impossible. » La liquidation de l’association a donc représenté pour eux un véritable désastre, vécu comme un échec aussi bien au plan individuel que collectif.
Dans un contexte où les extrêmes prennent de l’ampleur et où les libertés fondamentales sont constamment menacées, nous avons pourtant plus que jamais besoin d’espace d’expression libre. Jets d’encre en était un, d’autant plus précieux qu’il était organisé par des jeunes et s’adressait à la jeunesse. Espérons-le voir renaître au plus vite et proposer un nouveau festival Expresso.