Imagination
Chroniques d’Andostra. La Symphonie des anges (4)

Chroniques d’Andostra. La Symphonie des anges (4)

Voici la suite de notre roman-feuilleton, écrit par Maxence. Titre du quatrième chapitre des Chroniques d’Andostra, la Symphonie des anges: « Je suis Eandal ».

Chapitre 4 : Je suis Eandal

Ainsi le roi avait parlé. J’avais reçu mon nom, et il ne tenait plus qu’à moi de prêter serment d’allégeance afin de bannir définitivement tout lien avec mon passé de paysan anonyme. Ce n’était plus ni l’angoisse ni la tristesse qui me remuaient les entrailles en ce moment précis, mais bel et bien une forme d’excitation à l’idée que j’allais enfin devenir quelqu’un. Je pris alors la parole, et ma voix vacillante me surprit quelque peu :

–        Mon roi, j’accepte avec honneur ainsi que bonheur de vous prêter allégeance, et jure de me plier à votre volonté.

–        Un simple « j’accepte » m’aurait suffi, Eandal, me dit le roi tout sourire, tu es donc à présent un novice en bonne et due forme. As-tu des questions avant de rejoindre Brod ?

–        J’en ai en effet quelques-unes, mon roi… puis-je connaître la signification de mon nom ?

–        Bien évidemment ! je ne sais même pas pourquoi je n’ai pas pensé à te la donner plus tôt. Dans la langue d’une civilisation qui peuplait jadis les montagnes du nord, Eandal signifie unique et précieux. Quant à Rougebraise, eh bien, j’y ai pensé en voyant ta tenue. Cela te plaît-il ? demanda anxieusement le roi.

–        Oh oui, votre majesté, cela me plaît même beaucoup ! dis-je, joyeux.

–        Et à moi aussi, rajouta Brod, à moi aussi.

–        Mais tu disais avoir quelques questions, reprit le monarque, alors je t’en prie, profites-en pendant que je suis là… mais avant ça, j’aimerais que tu ne m’appelles pas « mon roi » quand nous sommes entre nous, mais plutôt Eorlund. Cela te convient-il ?

–        Bien sûr, Eorlund, fis-je, mal à l’aise d’appeler le roi par son prénom.

–        Allons, pose donc tes questions, Eandal, fit Brod, nous devons encore annoncer la nouvelle à Filou et te présenter à ton professeur ensuite.

–        Entendu. J’aimerais savoir ce que vous faisiez, Eorlund, dans ce cristal, et aussi quel genre d’animal se tient sur votre épaule, dis-je, hésitant.

–        Ah, tu parles de ma chimère ? C’est un croisement entre un hibou, un corbeau et une chauve-souris. Il s’appelle Telf, et me tient compagnie depuis maintenant une vingtaine d’années. Quant à ce cristal, comme tu dis, il s’agit de mon trône, et il me relie à tous les êtres vivants du royaume, comme tu as pu en faire l’expérience tout à l’heure.

Sur ces mots, Brod me demanda de le suivre et nous nous dirigeâmes vers la sortie, le roi reprenant tranquillement place dans son trône-cocon. Nous ne repassâmes pas par la salle des trophées, une petite porte discrète, comme celle de l’atelier de Filou, étant incrustée dans un des murs de la salle du trône. C’est d’ailleurs dans les appartements du couturier que nous arrivâmes, après avoir traversé des galeries si biscornues que j’en avais perdu le sens de l’orientation. Pendant cette courte durée, j’avais pu rassembler la plupart des événements de la journée et les assimiler : Brod était le fils du roi, qui lui-même était un personnage loufoque mais très sympathique qui semblait pouvoir partager les pensées du moindre de ses sujets. Voilà qui me faisait froid dans le dos, mais cette sensation désagréable disparut aussitôt lorsque Filou apparut, les bras chargés de draperies pourpres, à travers une autre de ces portes invisibles. Il ne semblait pas surpris du tout de nous rencontrer dans ses quartiers personnels et me demanda si tout s’était bien passé. Je lui répondis alors qu’en effet, la cérémonie s’était déroulée sans encombre et que je trouvais le roi fort sympathique, et qu’il me tardait maintenant de faire la rencontre des autres novices. A cet instant, Brod et Filou s’échangèrent un regard complice mais chargé d’appréhension. C’est Filou qui prit la parole le premier :

–        Avant que tu ne sois livré à toi-même dans le monde des novices, Eandal, il faut que l’on te prévienne d’une chose : les autres novices ont toujours eu peur des potentiels spéciaux, et cette peur peut se manifester sous différentes formes, comme la violence mais aussi l’adulation. Ainsi, reste sur tes gardes, car, une fois dans l’aile des novices, tu seras livré à toi-même.

–        Un conseil, rajouta Brod, fais toi des amis sur qui tu puisses compter, mais plus important encore, ne te fais pas d’ennemis.

–        J’y penserai, dis-je, non rassuré.

–        Bien, alors nous pouvons y aller. Ah, mais avant que je n’oublie, tiens, prend ça, me dit Brod, en me tendant un cordon de cuir au bout duquel pendait une pierre translucide aux reflets verts. Si jamais il t’arrive quelque chose, ou si l’envie de me parler te prend au beau milieu d’un cours barbant, tu n’auras qu’à penser à moi et alors la magie opèrera, termina-t-il avec un clin d’œil.

Et ces mots résonnent encore dans mon esprit aujourd’hui.

C’est donc ainsi que Brod, en compagnie de Filou, m’emmena dans la fameuse aile des novices, et je le suivais avec appréhension. D’après ce que me disait Brod, l’aile des novices se situait en bordure extrême de la citadelle, et l’on  y accédait en empruntant un pont de pierre, édifice créé par un peuple ancien qui maîtrisait l’art runique. Au-dessous, un précipice inquiétant laissait entendre l’écho lointain du fracas des vagues sur les parois abruptes de la falaise. Après quelques minutes de marche, les tours de magie qui encerclaient l’aile étaient déjà visibles, et, après quelques minutes supplémentaires, nous étions arrivés à notre destination.

Les différents bâtiments qui la composaient étaient, comme le reste de la citadelle, une merveille d’architecture, couplant avec génie ingéniosité et beauté. Cependant, après avoir contemplé la salle du trône, véritable vision de paradis, les édifices que j’observais me semblaient d’une triste banalité, mais, et je le savais bien, il faudrait que je m’efforce à y voir le plus de points positifs puisque j’allais y passer un certain nombre d’années : autant qu’elles soient le plus agréables possible. A ma grande surprise, il n’y avait absolument aucune activité, les lieux étaient d’un silence religieux. Je questionnai Brod du regard, et il esquissa un sourire en me montrant les quelques montagnes que l’on apercevait au loin : la neige les recouvrait presque totalement et je me rappelai soudain que le Jour d’Erjestil arriverait bientôt. A cette occasion, les familles se réunissaient au pied d’un Grand Autel, et festoyaient en l’honneur de la divinité de la nature. Ainsi, les novices devaient avoir été rendus à leurs familles, le temps de la célébration. Excepté les potentiels anormaux. Brod dût comprendre que j’avais deviné la raison de ce grand vide car il me dit sur un ton enjoué, comme à son habitude :

–        C’est vrai que j’avais oublié de te parler de ça… j’en suis désolé, mais vu la tête que tu as faite en le découvrant, je ne regrette rien !

–        Arrête donc de te moquer de moi, Brod, ce n’est pas très noble de ta part, tu ne crois pas ?

–        Petit effronté, je vais t’apprendre comment l’on s’adresse à un prince, à coup de baguette ! s’exclama-t-il en fronçant les sourcils.

–        Et moi, je vais aller me plaindre au roi de ta violence et de ton attitude de rustre, rétorquai-je.

 

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Je m’étonnai moi-même de répondre ainsi à Brod, à tel point que je commençai à rire sans pouvoir m’arrêter, rire dans lequel il me suivit sans attendre. Cette complicité entre nous, dont je prenais conscience peu à peu, m’était chère ; pour moi, il se rapprochait plus d’un grand frère bienveillant plutôt que d’un prince, et je devinais ce sentiment réciproque. Une fois que les rires s’estompèrent, Brod m’expliqua donc rapidement que les novices rentreraient à la citadelle sous deux ou trois jours, et que, d’ici-là, je devrais en profiter pour explorer l’aile, que l’on appelait aussi plus couramment le Nid. Par ailleurs, les novices ne quittaient le Nid qu’une fois par semaine, pour rendre visite à leurs proches, et le reste du temps ils résidaient dans le bâtiment auprès duquel nous nous tenions, à savoir la tour des songes. Ainsi, je ne quitterai le nid que pour me rendre dans mes appartements au sein de la citadelle, ce qui ne laissait pas beaucoup de place pour l’aventure. Brod fut appelé en urgence par un des gardes d’après qui un troll rôdait non loin du village en contrebas de la citadelle : ainsi, il m’informa de l’emplacement de ma chambre dans la tour des songes rapidement puis il suivit le garde à grands pas. C’est une fois seul que je sentis une présence aux alentours, mais cela devait certainement provenir de mon imagination. Je décidai donc de partir en quête de ma chambre, qui était située dans les derniers étages de la haute tour bleue. Après être entré par une porte en cristal magnifiquement ouvragée, je me dirigeai vers une sorte de podium duquel émanait des lumières douces qui semblaient couler dans des veines invisibles, formant ainsi un tube étrange. Comme il n’y avait pas d’escaliers, je décidai de monter sur ce promontoire étrange, sans savoir quoi faire d’autre, et, dès que mes deux pieds furent posés dessus, les veines, jusque-là discrètes, se mirent à briller intensément, si bien que je ne voyais plus qu’un blanc laiteux autour de moi. A cet instant, une voix  douce surgit de nulle part et s’adressa ainsi à moi :

–        Bienvenue dans la tour des Songes, cher novice. Je suis le Gardien des Rêves, et m’occupe de cette tour en tant qu’esprit protecteur. Si tu as des questions concernant le plan des lieux ou si tu veux simplement tenir compagnie à un vieil esprit pour passer le temps, tu n’as qu’à m’appeler : je réponds au nom de Fenelor. Et toi ?

–        Je suis Eandal, dis-je fièrement, et je suis nouveau ici. Ma chambre se situe dans les derniers étages… savez-vous comment y accéder ?

–        Bien sûr, Eandal… ton nom est très intéressant… cela faisait longtemps que je n’avais pas entendu ce langage ancien.

–        Oh, ce nom, c’est le roi qui me l’a donné.

–        Vraiment ? voilà qui est encore plus intéressant, dit l’esprit, mystérieux. Mais je me disperse… pour monter au dernier étage, il te faut emprunter l’élévateur magique, duquel je suis en charge… tu n’as qu’à me demander et je te conduirai à l’endroit où tu souhaites te rendre. Il te suffit de te placer sur ce marchepied et le tour est joué.

–        Je vais vous avouer, Fenelor, que je suis de plus en plus perdu au fur et à mesure que je prends connaissance de la citadelle et surtout de la magie qui y est omniprésente.

–        Ne t’inquiète pas, il en va de même chaque année pour la plupart des novices, et les cours d’histoire, qui vont commencer dans quelques jours, vont t’éclairer, j’en suis certain. Alors, veux-tu découvrir tes appartements ?

–        Avec plaisir, Fenelor, avec plaisir.

Et c’est ainsi que je fus transporté devant le seuil d’une chambre en un claquement de doigts.