Le barrage s’effondre
Tribune – « L’extrême droite, c’est la guerre ». Ce constat, formulé par le premier président de notre Ve République, le général de Gaulle, pose la violence au coeur de ce courant politique – ou idéologique.
Le danger principal de l’extrême droite n’est plus le coup d’Etat, comme celui du général Pinochet le 11 septembre 1973 au Chili.
Le danger dorénavant, c’est l’arrivée de l’extrême droite à la tête du pouvoir.
En 2002, pour la première fois en France et à la surprise d’une grande partie des Français.es, Jean-Marie Le Pen du Front National accède au second tour de l’élection présidentielle, face au président sortant Chirac.
82% contre 18% : le voilà le vrai barrage républicain.
Quinze ans plus tard, la désolation également pour une partie des Français : la fille Le Pen accède au second tour face à Emmanuel Macron. Le barrage s’étiole, quelques briques ont été emportées par le courant extrême et les vents violents, il résiste cependant. 66% contre 34% : Emmanuel Macron devient président de la République française.
Cinq ans plus tard, comme une sensation désagréable de déjà-vu, plus aucun français ne doute de la présence du Rassemblement National au second tour. Il a changé de nom, d’ailleurs, afin d’effacer – ou plutôt, de tenter d’effacer – la vieille tâche qui ne veut partir, qui rappelle les origines de ce parti : créé par d’anciens collaborationnistes, proches de la Waffen SS ou ex-membres de l’OAS* , comme l’ancien président accusé d’actes de torture lors de la guerre d’Algérie. Le barrage républicain s’écroule lentement. Quelques pierres résistent néanmoins, fragilisées, fatiguées. Un énorme trou continue de s’agrandir au centre, il grignote une large partie du côté droit. A gauche, les pierres s’assemblent, peut-être maladroitement, trop faibles cependant, elles échouent : l’eau passe. 58% contre 42% : Macron remporte, de peu, l’élection. À l’Assemblée, les 89 député.es RN s’assoient sur leurs bancs, Sébastien Chenu et Hélène Laporte enfilent leur couronne de vice-président.
Montée de la violence et banalisation
Du côté de la vie civile, l’extrême droite frappe mortellement. Le 19 mars 2022, Loik Le Priol et Romain Bouvier, deux anciens membres du Groupe Union Défense, groupe violent d’ultra droite, assassinent en pleine rue, au sein de Paris, l’ex rugbyman argentin Aramburu. Le GUD n’est pas directement relié au RN, certes, mais les membres des deux organisations sont proches. Frédéric Châtillon et Axel Loustau, issus tous deux du GUD, restent proches du parti d’extrême droite, et particulièrement de son nouveau président Jordan Bardella. Dès 2019 lors des élections européennes, ils participent à la campagne en tant que prestataires du groupe de communication digitale e-Politics, à qui le RN fait appel.
Encore plus récemment, le 23 décembre 2022, William M., assassine trois personnes kurdes rue d’Enghien. Un an plus tôt, il attaquait un camp de migrant au sabre. Lors de sa garde à vue, il avoue lui même sa haine pour les étrangers.
Le parti d’extrême droite RN ou celui du polémiste Eric Zemmour Reconquête! ne sont pas directement impliqués dans ces affaires. Toutefois, leur score aux élections ainsi que les propos racistes et xénophobes tenus (entre autres) participent à la montée de la violence et de sa banalisation. L’extrême droite ne choque plus. Elle se revendique même, est présente partout. Elle est écoutée et respectée. Mais par ses actes, par ses mots, elle continue et continuera de blesser, de tuer jusqu’à ce qu’elle arrive au pouvoir. Le voilà dorénavant, le vrai danger : les élections suffisent à l’emmener au pouvoir.
Sous Trump ou Bolsonaro, les conséquences écologiques, sociales et économiques sont désastreuses.
Et surtout, l’extrême droite refuse la défaite : elle ne veut quitter le pouvoir. Le 6 décembre 2021, un homme-bison et des milliers de partisans trumpistes envahissent le capitole. Trump, lui, crie à qui veut l’entendre que les résultats ont été trafiqués, que c’est bien lui qui a gagné, le républicain, non pas son adversaire démocrate.
Le 30 octobre dernier, au Brésil, l’ancien président et candidat de gauche Lula remporte les élections présidentielles face au président sortant d’extrême droite, le sexiste, raciste et homophobe Bolsonaro. Ce dernier, de la même manière que son homologue étasunien Trump, ne reconnaît pas les résultats. Le 1er janvier 2023, il ne participe pas à l’investiture du nouveau président. Huit jours plus tard, la veille du lancement du Carnaval, des Bolsonaristes envahissent le Congrès, la Cour Suprême ainsi que le Palais présidentiel, refusant la victoire de Lula. Pendant quatre heures, ils saccagent tout, détruisent le mobilier, les tableaux, déchirent ce qu’ils peuvent. Une nouvelle fois, l’extrême droite refuse de rendre le pouvoir.
L’hypothèse d’un Rassemblement National à l’Elysée n’est pas improbable. L’extrême droite est un danger politique et social.
Prenons nos truelles, marteaux, fabriquons un ciment solide et reconstruisons le barrage démocratique, qui nous permettra de bloquer les courants racistes, sexistes, climatosceptiques et xénophobes de nos institutions.
EVA
*Organisation Armée Secrète, qui organisa de nombreux attentats en Algérie et en France