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Regard croisé sur deux films à ne pas manquer : Le Règne Animal et Killers of the Flower Moon

Regard croisé sur deux films à ne pas manquer : Le Règne Animal et Killers of the Flower Moon

L’actualité cinématographique récente a été marquée par la sortie de deux grands films, Le Règne animal, du français Thomas Cailley et Killers of the Flower Moon, du newyorkais Martin Scorcese. Ces deux films portent un regard captivant sur notre époque. Malgré des différences flagrantes, ils se rejoignent par certains aspects. Cet article propose un regard croisé sur ces deux films à ne pas manquer.

©2023 NORD-OUEST FILMS – STUDIOCANAL – FRANCE 2 CINÉMA – ARTÉMIS PRODUCTIONS À gauche Emile (Paul Kircher) et à droite François (Romain Duris)

Le Règne animal, deuxième film du réalisateur Thomas Cailley, raconte l’histoire d’un jeune adolescent, Emile vivant seul avec son père, François, dans un monde où certains humains se transforment en animaux. Sa mère, Lana, atteinte de cette « maladie » est déplacée dans un centre spécialisé en Gironde pour y suivre un traitement. Son mari François et son fils Emile déménagent dans les Landes de Gascogne pour la soutenir. Sur place, Emile et François vont s’embarquer dans  une quête qui bouleversera leur existence. Dans son vingt-septième long métrage, Killers of the Flower Moon, Martin Scorsese revient sur un massacre enseveli par l’histoire, celui de la tribu amérindienne des Osages. Le film prend racine dans la réserve naturelle d’Oklahoma où vivent les Osages. Cette tribu s’est enrichie très vite grâce à la présence de gisements de pétrole sur leurs terres.  Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Ernest Burkhart (Leonardo Dicaprio) débarque dans leur réserve naturelle, pour travailler chez son oncle, William Hale, riche éleveur de bovin, surnommé  le « King » (joué par Robert De Niro). Dans cette Amérique de 1920, va se jouer une affaire familiale déguisée et meurtrière.

©Apple TV Leonardo DiCaprio and Robert De Niro in “Killers of the Flower Moon,” in theaters now.

À première vue, ces deux longs métrages sont antinomiques. Le Règne animal est un film français appartenant aux genres du thriller, du teen movie et du fantastique. Dans une interview pour le journal Première, Thomas Cailley définit son film comme « un film de personnages ». A contrario, Killer of the Flower moon est un film historique américain, ancré dans un classicisme cinématographique. Certains médias le qualifient de western, même si la conquête de l’ouest américain n’est pas l’enjeu principal du film. Ces deux longs métrages abordent des décors contraires. Dans Le Règne animal, Thomas Cailley présente la société française contemporaine. La forêt des Landes de Gascogne, en Gironde, est omniprésente et constitue presque un personnage à part entière. Elle apparaît angoissante, ténébreuse mais aussi protectrice. Elle installe une atmosphère féérique presque fantasmagorique. A l’inverse, Martin Scorsese met en scène l’Amérique du début du XXème siècle. Avec des travellings magnifiques (notamment des arrivées de train dans la gare de Gray Horse), Scorsese filme les grandes plaines américaines, transformées par le développement industriel, et l’apparition de villes champignons.

Autre différence majeure entre ces deux films, la carrière de leurs réalisateurs. Alors que Thomas Cailley est un jeune réalisateur ayant tourné un seul autre long métrage (Les Combattants, 2017), Martin Scorsese est un réalisateur de renom. Il est connu notamment par ces films Taxi Driver (1976) palme d’or au festival de Cannes, Les Affranchis (1990) et Les Infiltrés (2007) pour ne citer qu’eux.

Malgré leurs divergences, Le Règne animal et Killers of the Flower moon ont de nombreux points communs.

Dans ces deux films, l’enjeu principal est la sphère intime. Dans le Règne Animal, le réalisateur développe une relation père-fils très puissante, face à la transformation et l’absence de Lana, mère d’Emile et femme de François. François et Emile restent soudés dans leur solitude et dans les obstacles qu’ils vont rencontrer. Ce lien paternel va être bousculé par la transformation d’Emile. Dans Killers of the Flower moon, Scorsese filme le couple constitué par l’Amérindienne Mollie Burkhart (Lily Gladstone) et l’Américain Ernest Burkhart (Leonardo Dicaprio). La force parfois mystérieuse de ce couple mixte est centrale dans le film. 

©Apple TV à gauche Ernest Burkhart (Leonardo Dicaprio) et à droite Mollie Burkhart (Lily Gladstone)

Ces deux films traitent du racisme. Dans le Règne Animal, les hommes « animaux » sont discriminés et vivent à l’écart de la société. Les hommes «ordinaires» sont divisés entre ceux qui veulent les enfermer dans des centres et ceux qui reconnaissent leurs liens et pensent qu’ils peuvent « cohabiter ». Certains hommes veulent même les exterminer. Le rapport avec les hommes « animaux » est une question majeure du film. Comment réagir face à la différence et à l’inconnu ? Quel est notre rapport face à la diversité ? Comment agir face à ces « créatures » qui peuvent faire peur ? Telles sont les questions que Thomas Cailley pose dans ce film. Ce problème de la différence évoque les discriminations de genre, de religion et du handicap. Dans Killers of the flower moon, Scorsese montre la violence originelle de l’Amérique, à travers le racisme des Américains blancs envers les Amérindiens, comme l’illustre la scène où Bob Mount (Wally Welch) accepte de tuer parce que la victime est un Amérindien. Scorsese souligne les différences culturelles et religieuses entre Amérindiens et Américains et les difficultés de la mixité entre elles.

Scène extraite du film Le Règne animal. On aperçoit un homme-animal

A l’heure où le monde est touché par des changements climatiques majeurs, ces deux films interrogent enfin notre rapport à la nature, au monde et au capitalisme. Dans le Règne Animal, les hommes transformés en créatures sont incompris, mystérieux et incontrôlables. Devenues créatures hybrides, elles se réfugient dans les forêts pour échapper aux hommes. Elles vivent comme des animaux et réalisent un retour complet à la nature. Par le biais de ces êtres étranges, Cailley pose la question de notre mode de vie. Il porte une critique sur la société capitaliste qui désire contrôler et même exploiter la nature sauvage. Ces « animaux » anthropomorphiques rappellent les mouvements écologistes extrêmes qui veulent revenir à un mode de vie primitif. Avec ces « animaux », Cailley évoque aussi les pandémies et changements climatiques à venir qui nous menacent et pourraient nous transformer. Dans Killers of the Flower moon, Scorsese montre la violence du capitalisme avant la crise de 1929. Le spectateur découvre à mesure que le film se déploie, la cruauté et l’avidité d’un homme prêt à tout pour obtenir du profit. Les Amérindiens devenus riches vont découvrir les avancées techniques américaines (train à vapeur, voiture, …) mais aussi les vices de la société capitaliste (alcool, pouvoir, maladies,). Scorsese pose, comme nombre de ses films, la question de la destructivité d’un capitalisme incontrôlé sur les relations humaines.

©Apple TV Danse des Osages après la découverte de gisements de pétrole sur leur terre.

Deux grands films à voir, car ils sont universels, ancrés dans notre époque, mais aussi remarquables par leurs réalisations, leurs qualités formelles et leurs bandes son.