Blocus à Thiers: récit d’une journée de mobilisation
Vendredi 21 octobre, 7h du matin. Plusieurs adolescents marchent vers la place du Lycée, encore couverte par la nuit. Une demi-heure plus tard, du théâtre du Gymnase, on entend le grondement d’une manifestation, mêlée au son du tambour, à l’explosion de quelques pétards et mini feu d’artifice. Barrières, poubelles et même matelas sont amassés à quelques mètres de la grande porte du lycée. Enfin, après trois jours et deux blocus avortés, Thiers est (partiellement) bloqué par ses élèves et peut suivre l’appel à la grève interprofessionnelle de mardi, répondant à l’appel de leurs camarades de La Force Lycéenne.
Lycéens et lycéennes, debout sur les bennes retournées, crient déjà des slogans : “Macron t’es foutu, la jeunesse est dans la rue”, “Oui à l’éducation, non à la sélection”, repris en cœur par les autres. Derrière eux, quelques policiers, pas plus d’une dizaine, se tiennent debout et tranquilles : l’une d’entre eux fume même sa cigarette. A gauche, un passage est laissé ouvert, pour les collégiens, étudiants des classes préparatoires et ceux qui souhaiteraient tout de même aller en cours. L’entrée est gardée par un CPE. Le proviseur, lui, est assis sur les marches.
A 10h, le blocus tient toujours et la rue Guy Môquet est elle aussi partiellement entravée par les lycéens. La foule est grossie : les étudiants du lycée Périer arrivent en renfort. “Le futur c’est nous”, rappelle une pancarte. Rapidement, les organisateurs et principaux bloqueurs demandent d’arrêter de lancer des pétards : les policiers en ont déjà reçu deux. La foule obéit, elle crie au rythme du tambour, écoute par intermittence la trompettiste debout sur la poubelle, lève ses pancartes bien haut pour être visible. Elle se perche partout : sur les bancs, les bennes et les poubelles de la place. Elle devient violette, se teinte du rouge et du bleu des fumigènes.
Les revendications sont multiples, inscrites d’ailleurs sur une banderole qui ne tarde pas à être accrochée aux barreaux des fenêtres. Ax, un.e des organisateurs des blocus, présent.e depuis mardi, explique : “On est contre la réforme du bac, contre la sélection Parcoursup, contre la réforme des lycées professionnels, pour beaucoup plus de places dans le supérieur, contre la répression des lycéens mobilisés, pour un système plus adapté et moins pesant, avec moins de cours mais de meilleure qualité”. Sasha*, élève en terminale, confirme “ Les revendications sont axées sur l’éducation. On est contre le système Parcoursup qui, selon nous, empêche une partie de notre jeunesse d’accéder aux études qu’elle souhaite”. Mélissa, une des meneuses du blocus, plaide pour plus de moyens dans le système éducatif : “On n’a pas assez de moyens, en spécialité on est 45. Les professeurs doivent aller prendre des chaises et des bureaux dans d’autres salles, c’est pas normal !”. Ils demandent également plus d’aides pour faire face à la précarité des étudiants, ainsi qu’une augmentation des salaires des enseignants, des personnels d’éducation et une amélioration des conditions d’enseignements. Mélissa conclut “Monsieur Macron, il a chamboulé tout le système éducatif.”
Vers midi, les élèves sont légèrement moins nombreux, l’ambiance est différente. On entame plusieurs chants de l’OM, le drapeau sur les épaules. Nous n’entendons maintenant que très peu de slogans militants, les efforts ne sont pas suivis par la foule. Melissa est descendue de la poubelle sur laquelle elle se tenait debout depuis 5 heures contre la sélection des étudiants. Elle a tendu son mégaphone à quelqu’un d’autre, remplacé par notre micro qui lui permet de faire le bilan de la matinée : “On a réussi à organiser quelque chose, mais je trouve que les revendications ne sont plus assez manifestes.” Elle continue : “On n’est pas contre la police, on n’est pas contre l’Etat, juste contre l’Education Nationale que Macron a mise en place”. Sasha* se réjouit néanmoins : “C’est une très bonne chose que les lycéens montrent leur désaccord vis-à-vis de la politique”.
A 14h10, le mouvement tient toujours, peut-être un peu plus fébrile, peut-être un peu plus faible. Nombre des bloqueurs de ce matin dépassent la grille pour rejoindre leur salle de classe. Le blocus devient un peu moins militant, un peu moins engagé. Meriem, lycéenne de terminale, a tenté de rappeler les raisons du rassemblement : “J’en avais marre, et je n’étais pas la seule, que les gens prennent la parole juste pour dire des ‘Allez l’OM’”. Malgré deux prises de parole, et un rappel des revendications, l’appel du football est plus fort et surplombe le reste. Après 7 heures de blocus, il commence sérieusement à s’essouffler.
A la fin de la journée, quand l’Eglise des Bernardines sonne les 18h, les élèves sont partis, laissant leurs vestiges : poubelles, matelas tagué, pancartes de carton, barrières grises et grillagées, un “Thiers en colère” rouge sur le sol. Le samedi matin, une dizaine de bennes attendent toujours sur le côté, rappel du premier blocus de Thiers depuis maintenant deux ans. Sur les réseaux sociaux, les lycéens s’applaudissent, contents de cette réussite : “Merci à tous, […] on a enfin réussi pour le dernier jour. On a montré de quoi on était capable” écrit le compte Instagram @_blocus_thiers qui a relayé les appels au blocage depuis mardi.
*Le prénom a été modifié.