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Dans la peau de Camille Courcy journaliste reporter (2)

Dans la peau de Camille Courcy journaliste reporter (2)

Immersion dans la Colline du crack et la Cité Bassens

Camille Courcy exerce le métier de journaliste reporter depuis l’âge de 19 ans. Elle en a aujourd’hui 30. En janvier 2020, elle a rejoint le média digital Brut. Ses deux documentaires “Plongée dans la colline du Crack” et “Marseille : immersion dans les quartiers Nord confinés” ont dépassé les millions de vues sur YouTube. Impressionnés par cette jeune femme de passion, nous avons voulu savoir quel était son parcours, sa manière de travailler, sa vision du journalisme. Lors du troisième confinement, elle a bien voulu répondre à nos questions. Nous publions ici la deuxième partie de cette interview en trois épisodes (3e à paraître le 27/05/21) .

Sur la Colline du crack *
https://www.youtube.com/watch?v=6b9G8nJyl_M
LTET: Vous arrivez chez Brut en janvier 2020. Quelques semaines après, vous publiez un documentaire intitulé “Brut a rencontré les habitants de la colline du crack”, qui totalise plus d’1,5 millions de vues sur YouTube. Vous y recueillez le témoignage d’habitants de cette colline située en bordure du périphérique parisien. Avant de filmer, vous menez un travail préparatoire d’immersion en dormant plusieurs nuits aux côtés des habitants.
Pouvez-vous nous raconter comment cela s’est déroulé ?

J’ai commencé à tourner le reportage sur la colline du crack avant d’être chez Brut. Je n’arrivais jamais à vendre des reportages sur dossier. Du coup, je tournais un sujet jusqu’à peu près la moitié et démarchais les boîtes de production en montrant les premières images. Souvent, ça marchait mieux.

J’habite près de la colline du crack. Motarde, je passais souvent devant et me demandais : qui sont ces gens ? Des dealers, des consommateurs de crack ? Qu’est ce qu’ils font là ? Est-ce qu’ils ont un logement? Est ce qu’ils ne vivent qu’ici ? D’où viennent-ils ?

J’ai cherché à savoir. J’ai regardé sur internet. J’ai vu quelques reportages. A chaque fois, ces personnes étaient prises au téléobjectif de l’extérieur de la colline et apparaissaient comme des «zombies» avec des visages floutés. Des policiers, des riverains, des dealers exprimaient leur avis. Mais les habitants de la colline ne parlaient jamais eux-mêmes.

J’y suis allée une première fois avec une copine photographe, Laurence Geai, qui travaille pour le Monde. On a fait pas mal de terrains de conflits ensemble, parce que souvent, ça permet de diviser les frais. D’abord, on discute avec les gens sans la caméra. Elle est dans le sac à dos, un peu cachée. Si on ne me demande pas, je ne dis pas tout de suite que je suis journaliste. Par contre, si on me pose la question, je dis la vérité bien-sûr. En parlant avec tout le monde, on rencontre une fille, Laurie (protagoniste du documentaire) qui contrairement aux autres, semblait avoir envie de communiquer son histoire. Cela tombait bien car j’ai horreur de forcer les gens.

Avant de commencer à filmer, j’avais besoin de ressentir les sensations des habitants. Je voulais me mettre à leur place. Je décidais de planter ma tente parmi eux, en immersion totale. La nuit était agitée. Évidemment, on ne dort pas très bien sur la colline, entre les bruits du périphérique et les différents échanges. En dehors de la tente, il est difficile d’obtenir des témoignages, mais à l’intérieur, on est comme dans un «petit nid douillet» propice aux confessions. Je choisis de filmer sous la tente. Avec Laurie, Myrlène, des liens s’établissent au sein de leur groupe, malgré les démantèlements Porte de la Chapelle puis à Aubervilliers. On ne voit aucun plan général de la colline dans le documentaire. J’ai essayé mais les dealers ne voulaient pas en entendre parler.

LTET: Était-ce une expérience humaine enrichissante de réaliser ce documentaire ?

Dans les endroits les plus tristes, l’être humain a une capacité de résilience incroyable. A la colline du crack comme ailleurs, il y a des histoires d’amours, des fêtes, des moments de rires, de joie et de tristesse. J’y ai rencontré de très belles personnes. En grande difficulté, elles m’ont beaucoup aidée et protégée. Quel que soit le lieu, qu’on consomme du crack ou pas, une société humaine reste toujours humaine, solidaire. J’adore aller dans les pires lieux du monde pour y montrer ce qu’il y a de plus beau.

Dans la Cité Bassens **
https://www.youtube.com/watch?v=8tfNkjth8VQ
LTET: Durant le 1er confinement, vous vous êtes rendue dans les quartiers nord de Marseille, afin de relater le quotidien des habitants de la Cité Bassens. Ce documentaire a eu beaucoup de succès, visionné plus de 3,4 millions de fois sur la plateforme Youtube. Comment vous est venu le choix de ce sujet, et a-t-il été facile de convaincre les habitants de témoigner face-caméra ?

Quand le premier confinement a été décrété, j’ai appelé mon boss chez Brut et lui ai proposé de faire des reportages avec mon camion aménagé. Cela l’intéressait pour son émission C politique sur France 5 dont il était aussi rédacteur en chef. Chaque semaine, je changeais de région. C’était la première fois de ma vie que je faisais ça. C’était un peu du Jean-Pierre Pernaut (ancien présentateur du 13H de TF1 NDLR) mais à ma façon. En fait, j’interrogeais des gens en plein confinement, des infirmières, des sdfs etc, sans commentaires …

Puis, je suis arrivée à Marseille. J’adore cette ville. C’est une mine d’or de sujets pour moi. J’y retourne toutes les semaines ces temps-ci. Une enquêtrice avec laquelle je travaillais m’a parlé d’une super association de femmes à Bassens, qui distribue de la nourriture, fait de l’aide aux devoirs, vérifie que tout le monde va bien. Une aide-soignante en faisait partie, applaudie tous les soirs à 20h de retour du travail. De quoi faire une super image ! En attendant 20h, j’ai découvert le four, nom du point de vente de stupéfiants, et parlé avec des gars, qui connaissaient Brut et voulaient raconter leur histoire face à la caméra. C’est comme ça que je les ai interviewé en deux jours.

J’ai tout de suite été frappée par la bonne ambiance dans cette petite cité à taille humaine, où tout le monde se connaissait et où je pouvais expliquer très rapidement à tous ce que je faisais là, pour pouvoir circuler en toute liberté.

Avec Brut, l’accueil est différent : tous les gamins te disent qu’ils regardent les documentaires sur Snapchat, qu’ils ne s’informent que comme ça et qu’ils adorent.

LTET: Chez Brut, votre audience est elle essentiellement des jeunes ?

Le public s’élargit un peu depuis l’interview de Macron (Emmanuel Macron a accordé une interview à Brut le 4 décembre 2020, NDLR). Il commence à y avoir des personnes plus âgées qui nous regardent, mais les jeunes restent majoritaires. Contrairement à elles, ils ne sont pas déjà au courant des sujets traités. C’est à eux que j’aime m’adresser en particulier. Cela représente une grosse responsabilité.

LTET: À chaque fois, que vous réalisez un documentaire pour Brut, vous prenez le temps de répondre personnellement aux questions et commentaires. Est ce que le fait de bénéficier de retours sur son travail constitue une nouveauté importante par rapport à l’époque où vous réalisiez des documentaires destinés à la télévision ?

Les commentaires permettent d’affiner notre travail au plus près des intérêts de notre public. Sur la colline du crack, si je n’avais pas eu tous les commentaires qui me demandaient des nouvelles de Laurie, de Myrlène, je n’aurais peut-être pas continué avec les épisodes 2 et 3 puis un gros documentaire. Le fait d’avoir des retours permet de connaître son audience, ses centres d’intérêt, ce qu’il faut approfondir et ce qu’il faut laisser tomber. Bien-sûr, on n’est pas là que pour donner des sujets qui intéressent le public, mais parfois les questions des spectateurs donnent des pistes de recherche auxquelles nous n’avions pas pensées…

LTET: En 2014, lors d’une interview au quotidien régional la Montagne, vous déclarez «pourquoi rester à Paris pour être dans une meute de journalistes à tous filmer la même chose». Vous expliquez également la même année lors d’une conférence TEDx talks, que vous avez eu l’impression d’être utile en Syrie car vous considérez que si vous n’étiez pas là, «les gens continueraient à mourir en silence». Donner la parole à des individus habituellement réduits au silence, est-ce une philosophie qui vous anime toujours aujourd’hui, 7 ans plus tard ?

La colline du crack et Bassens incarnent bien cette philosophie. Quand je trouve plus d’1 ou 2 journalistes sur un même terrain, «je me casse». On a plein de forces vives dans le journalisme. Pourquoi répéter tous en même temps la même information ? On peut faire plein de choses différentes, complémentaires. Cette image d’Épinal de «la meute de journalistes» est pour moi le symbole de la bêtise des médias.

Interview réalisée  par Ophélio
*: https://www.youtube.com/watch?v=6b9G8nJyl_M
**: https://www.youtube.com/watch?v=8tfNkjth8VQ