Imagination
Légère comme du plomb (1)

Légère comme du plomb (1)

Dans la tradition des romans-feuilletons français du XIXe siècle publiés dans la presse, nous vous proposons le premier chapitre du roman de Mélanie, création originale spécialement conçue pour La Terre en Thiers. Laissez-vous entraîner par les sentiments d’Emilie, son personnage principal, héroïne d’aujourd’hui en proie à des passions tristes. Nous publierons la suite prochainement, au fur et à mesure de son écriture.

Emilie avait entendu malgré elle une conversation, dont elle n’aurait jamais dû percevoir une seule parole.

« Mais j’en ai marre de lui cacher ! Il faut qu’elle sache tôt ou tard que vous n’êtes pas ses parents ! Vous ne pourrez pas le lui cacher toute sa vie ! Quand est-ce que vous allez enfin lui dévoiler cet accident qui a tout chamboulé dans nos vies ? »

Malgré le choc de cette révélation, elle était restée derrière la porte entrouverte, voulant en apprendre davantage, ne se rendant pas totalement compte que c’était d’elle qu’ils parlaient.

« Vous n’êtes pas les vrais parents d’Émilie, vous ne le serez jamais ! Et quand elle le saura, elle nous en voudra à tous, même à moi qui suis son frère ! »

Elle reconnut la voix de Zayn. En quelques secondes, celui qu’elle avait toujours considéré comme son frère devint son cousin, puis quelques secondes après, à nouveau son frère, mais de parents différents.

Le choc était brutal. Elle ne put évidement que rester immobile, pétrifiée, plongée dans une sorte de torpeur, sans voix, les larmes dévalant ses joues dans le plus complet des silences.

A partir de ce moment là, tout en elle fut chamboulé, tellement chamboulé qu’elle en perdit la voix. Une confusion totale naquit en elle. Ceux qu’elle avait toujours pris pour ses parents n’étaient en réalité que son oncle et sa tante. Sans parler de ses frères, Enzo, le plus jeune de 11 ans et Zayn son ainé d’un an, qui en avait 17. Qui étaient-ils vraiment pour elle?

Elle avait ouvert la porte et avait regardé son oncle et sa tante, Baptiste et Alice. Elle voulait en savoir plus, maintenant qu’elle était là. Elle était restée silencieuse en les écoutant, les joues humides. Elle apprit que si elle ne se souvenait pas de ses vrais parents, c’était parce que ce traumatisme l’avait plongé trois semaines entières dans le coma. Elle dut alors tout réapprendre comme un enfant qui apprend à parler, à marcher, à faire du vélo.

Droits réservés - Dessin réalisé par Mélanie
Droits réservés – Dessin réalisé par Mélanie

Émilie sortit de son lit encore chaud de la nuit. Une fois de plus, l’insomnie était venue la bercer tout en l’empêchant de dormir. Toute la nuit, les bras de Morphée avaient été tendus vers elle sans réussir à l’atteindre. Ils étaient restés séparés d’elle comme par un mur invisible auquel Émilie se heurtait à chaque reprise.

Son réveil indiquait maintenant sept heures douze. Le bruit des aiguilles l’avait poursuivi la nuit entière. Sa bouche laissa sortir un long soupir. Émilie leva les bras, étirant ainsi chacun de ses muscles. Puis, dans les quelques secondes qui suivirent, elle se frotta les yeux comme si elle venait d’émerger. Depuis deux jours, Émilie n’avait presque rien mangé. Elle n’avait pas non plus prononcé le moindre mot.

Elle se redressa sur son lit. Elle devait aller au lycée comme tous les matins, même si elle n’en avait absolument aucune envie.

Zayn rentra dans sa chambre.

« Bon ma chérie, ou tu te dépêches et on part ensemble à sept heures trente, ou tu prends ton temps et à ce moment-là, prête ou pas, tu viens avec moi, même si je dois utiliser la force… »

Il rigola, cherchant à la faire sourire comme il en avait l’habitude, avant cette révélation tardive. Elle l’examina simplement, d’un regard terne, refusant toujours de parler.. Puis, elle planta ses yeux dans ceux de Zayn et saisit un oreiller, qu’elle lui lança pour le faire sortir de sa chambre. Il éclata de rire mais ne protesta pas.

« N’oublie pas ma chérie, sept heure trente, habillée ou pas, maquillée ou pas, coiffée ou pas, je t’embarque avec moi… »

Suite à ces mots, il referma la porte doucement pour ne pas réveiller Enzo, dormant à poings fermés, ainsi que ses parents.

Il adorait sa petite brunette, surnom qu’il lui avait donné depuis déjà plusieurs années. Zayn ne supportait pas de la voir dans cet état. Il se sentait coupable, à cause de ce terrible secret de famille caché depuis plusieurs années. C’était sa faute. Elle avait tout découvert brutalement, sans s’y attendre, en écoutant derrière une porte une conservation qu’elle n’aurait pas dû entendre.

Elle était la fille de Pierre et de Sarah, leur étoile, leur moment de bonheur et d’évasion. Mais Émilie ne se souvenait ni de cela, ni du visage de ses vrais parents, ni de rien. Comme si l’ensemble de ses souvenirs avait disparu, en même temps que ce choc contre un arbre.

Finalement, malgré son envie de rester immobile dans son lit, elle se leva et après une douche rapide, enfila une robe noire accompagnée de collants opaques.

Elle attendait assise à même le sol. Elle ne saurait dire ce qu’elle voulait vraiment à ce moment-là. Peut-être aurait-elle aimé se souvenir juste un peu de ses parents ? Non, cela était trop douloureux. Elle ne pouvait surmonter cette horrible vérité, enfouie depuis six ans. Pourtant dans le fond, qu’est ce que cela pouvait lui apporter ? Hormis de la souffrance ? Rien, juste une profonde tristesse.

Même si elle ne se souvenait pas de ses parents, c’était déchirant. Elle était leur chair. Elle ne s’en remettait pas… Elle se demandait pourquoi vivre, si c’était pour au final mourir dans ces conditions. Puis, elle se souvint d’un des livres qu’elle avait dévoré. Quelque chose pouvait sembler magnifique, parce que justement cela prenait fin, à un moment ou à un autre. N’en était-il pas de même pour tout ce qui nous entourait ? Si la vie n’avait pas de fin, cela serait affreusement triste et beaucoup plus décevant qu’une mort certaine…

Ce qui faisait également du mal à Émilie, c’était de savoir que depuis le début, tout le monde lui mentait. Que ce soit Zayn, en qui elle avait totalement confiance, qui connaissait tout d’elle, ses doutes, ses angoisses, ses peurs mais aussi ses joies et ses moments de bonheur. Que ce soit Enzo, son petit cousin dont elle était proche…

Même si elle savait que cela lui avait été caché pour qu’elle ne souffre pas.

Cependant, on peut dire que la nature était bien faite. Son esprit avait préféré oublier ce traumatisme, qui n’était pas réellement perdu, mais seulement rangé bien au fond de sa mémoire, avec tout les autres souvenirs, dans une pièce inconnue de l’adolescente.

Zayn toqua à la porte de sa chambre, s’inquiétant réellement de ne pas la voir. Sans réponse de sa part, il abaissa délicatement la poignée, puis, une fois a l’intérieur, il referma la porte.

« Émilie, je sais que tu ne voudras pas me répondre mais fais moi au moins un signe… Tu n’as aucune envie d’aller au lycée. Je me trompe ? »

Elle lui offrit un léger sourire en tournant la tête de gauche à droite. Évidemment, elle n’avait aucune envie d’aller au lycée ! Pas aujourd’hui, pas en ce moment ! Pas après ce qu’elle avait appris !

« Donc on n’ira pas » reprit le beau jeune homme en s’asseyant face à elle.

Cette dernière écarquilla les yeux de surprise. « Ne t’inquiète pas, je te couvrirai, ce sera de ma faute, et puis de toute façon, Baptiste et Alice comprendront… Tu es d’accord ? »

Émilie avait hoché la tête, en le fixant dans ses pépites vertes, heureuse que Zayn lui ait proposé de sécher les cours, lui, le bon élève. Elle accepta. Seul un discret sourire servit à le remercier.

Elle ouvrit légèrement la bouche voulant dire quelque chose. Zayn, était comme suspendu à ses lèvres, attendant une phrase, un mot. Même une syllabe aurait suffit à le satisfaire. Il espérait entendre de nouveau la douce voix mélodieuse, un peu grave d’Émilie. Jusqu’alors, il la trouvait trop bavarde, excessivement pipelette et quand du jour au lendemain, elle avait fermé ses fines lèvres, il éprouva un manque. Émilie voulait crier sa douleur au monde entier mais elle n’y parvenait pas. Les sons étaient comme bloqués en elle, sans qu’elle ne puisse rien dire. Une sensation de soumission l’envahissait. Ses deux morceaux de lèvres enfermaient ce qu’elle voulait dire, ce qu’elle voulait hurler. Tout restait en elle, remuant chaque fois un peu plus ce qui la faisait souffrir sans qu’elle parvienne à s’en libérer.

Finalement, malgré l’attente désespéré de Zayn , elle garda une fois de plus le silence.

Un bruit venant de l’extérieur les fit sursauter tous les deux. D’habitude, personne n’était réveillé à cette heure-là. Ils se regardèrent, chacun imaginant le pire scénario.

« Vous n’êtes toujours pas partis ? demanda une voix d’homme enroué après plusieurs heures de sommeil.

– Non pas encore se contenta de répondre Zayn, hésitant à lui demander directement de sécher les cours. Pap’s, est-ce qu’on … il n’eut pas le temps de formuler sa demande que Baptiste, l’oncle d’Émilie le coupa.

-J’ai parlé avec Alice, vous n’êtes pas obligés d’aller au lycée cette semaine. Mais si vous voulez absolument y aller, on n’est pas contre »

Les deux hommes avaient instinctivement regardé la jeune fille, jugeant que cette décision lui revenait. Ils n’attendaient pas de parole mais seulement un geste, un petit mouvement de main ou un hochement de tête. Même si Zayn connaissait la réponse, il attendait une réaction de sa chérie, comme il aimait l’appeler. Elle leur fit comprendre qu’elle n’avait aucune envie d’y aller…

« On pourrait aller au cinéma alors tout à l’heure avec Émilie ? » Demanda subitement Zayn.

Il ne s’agissait pas vraiment d’aller voir un film, mais plutôt de se retrouver seul avec Émilie.