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Quand les lycéens se soulèvent

Quand les lycéens se soulèvent

Le 6 décembre 2018, de nombreux lycées sont bloqués et des manifestations lycéennes s’organisent à travers toute la France. Ces événements vont alors se répéter dans les semaines qui suivent, fédérant toujours un grand nombre de jeunes bien déterminés à se faire entendre. Revenons donc sur les motivations à l’origine de leur soulèvement.

Réforme du lycée, réforme du bac, Parcoursup… le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a depuis deux ans multiplié les actions visant à réorganiser en profondeur l’enseignement secondaire. Il entend bien mener à terme cette vague de changements, et ce malgré la désapprobation d’une grande partie de la jeunesse. Pour se faire entendre, de nombreux lycéens rejetant ces réformes ont alors commencé à bloquer leur établissement et à organiser des manifestations. Mais quelles sont ces réformes contre lesquelles autant de lycéens se sont mobilisés ? C’est ce que nous allons voir.

La réforme du lycée et du bac, une bonne idée ?

Pour le Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, la réforme du lycée est une formidable opportunité pour les lycéens : une plus grande liberté de choix et la possibilité de construire leur parcours selon leurs préférences. Pourtant, lorsque l’on interroge les principaux intéressés qui sont les actuels élèves de seconde, ils ne sont pas tous aussi enthousiastes : beaucoup pointent du doigt un choix d’orientation trop précoce, d’autant plus qu’il doit être fait avec très peu d’informations, les enseignants eux-mêmes ne sachant pas toujours comment les guider. En outre, tous les lycées ne pourront pas proposer l’ensemble des spécialités et il ne sera pas rare de voir à l’avenir des élèves renoncer à une spécialité à cause d’une trop grande distance, notamment dans les milieux ruraux. Vous avez dit inégalités territoriales ? Ça tombe bien.

DR – Photo de Lucie Boutry

La réforme du bac ne fait pas non plus l’unanimité parmi les lycéens, et vous l’aurez compris, c’est un euphémisme. L’élément le plus contestable est certainement le contrôle continu, nouvellement pris en compte dans la note finale du bac. Pour le ministre, c’est un moyen de valoriser un travail régulier fourni par les lycéens tout au long de l’année. Oui, mais à quel prix ? Comptabiliser le contrôle continu, surtout dans de telles proportions (40%), c’est accepter que le bac devienne local, qu’il soit dévalué et que la réputation des lycées influe sur la valeur de leur diplôme, selon le niveau d’exigence réel ou supposé de chaque établissement. Cette fois-ci, c’est donc une réforme créatrice d’inégalités socio-spatiales.

Parcoursup et la sélection à l’université

Mise en place en 2018, la nouvelle plateforme d’accès à l’enseignement supérieur a déjà essuyé de nombreuses critiques dès sa première année : une non-hiérarchisation des voeux qui mène à une attente interminable pour certains, un manque de transparence sur les critères pris en compte par les algorithmes locaux ou encore le fait qu’elle permette à certaines universités de trier les dossiers des élèves en fonction de leur établissement d’origine.

Mais ce qui révolte le plus parmi les lycéens, c’est sans doute la mise en place d’une certaine sélection à l’entrée de l’université, qui contrevient au droit à l’accès aux études supérieurs ainsi qu’à l’égalité des chances. En effet, le gouvernement instaure dès 2018 des “attendus” nationaux et locaux, qui sont censés “préciser le contenu des parcours” selon Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Néanmoins, les universités peuvent établir leurs propres attendus et donc potentiellement accroître les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur.

Et ce ne sont pas les seules d’ailleurs. Alors que le gouvernement souhaite attirer plus d’élèves venant de l’étranger avec la stratégie nommée “Bienvenue en France”, l’une des mesures qui fait le plus débat est sans conteste l’augmentation significative des frais d’inscriptions à l’université pour les étudiants étrangers non européens : par an, ils passent de 170 à 2 770 euros en licence et de 243 à 3 770 euros en master. Avec ça, aucun doute, les étudiants se presseront pour étudier en France. Peut-être faudrait-il rappeler au gouvernement que l’enseignement est un droit universel, et qu’il devrait être accessible à tous, peu importe la nationalité ou l’argent présent sur le compte en banque.

Le SNU : de bonnes idées, mais…

Alors que le gouvernement procède à de nombreuses suppressions de postes au sein de l’Éducation nationale (2 600 en 2019), voilà que le Service National Universel (SNU) pointe le bout de son nez. Il s’agit d’un service civique d’un mois obligatoire pour les jeunes de 16 ans, qui peut être suivi d’un engagement volontaire plus long. Testé d’abord, dans 13 départements dès juin 2019, il devrait être mis en place à l’échelle nationale l’année suivante, en premier lieu sur la base du volontariat. Ce sera l’occasion de former les jeunes aux premiers secours et de leur montrer comment réagir en cas d’attentat ou de catastrophe naturelle. Ils bénéficieront aussi d’un bilan de santé complet et, tout comme lors de la Journée défense et citoyenneté, leur maîtrise du français sera évaluée. Le gouvernement souhaite ainsi entretenir le sentiment d’appartenance nationale et susciter chez les jeunes la volonté de s’engager.

Tout cela semble de prime abord plutôt pertinent, mais l’on peut exprimer quelques critiques : que ce soit la durée d’un mois qui peut être très contraignante autant pour les jeunes que leur famille ou l’aspect obligatoire qui peut être mal vécu par certains et donc le SNU aurait l’effet contraire à celui escompté. Le caractère militaire du SNU est lui aussi souvent pointé du doigt, bien que le gouvernement se défende de rétablir le service militaire. Le port de l’uniforme, le salut au drapeau, la Marseillaise, des militaires parmi les encadrants et même parfois un SNU se déroulant dans des bâtiments militaires… Non, rien de militaire là-dedans. Finalement, il s’agit d’une mesure forte du gouvernement dont on peut déplorer le coût exorbitant : “entre 1 et 10 milliards” d’euros par an d’après le ministère des Armées. Imaginez le nombre d’enseignants qui auraient pu être formés avec une telle somme…

Bloquer, un moyen de s’exprimer
DR – Photo de Lucie Boutry

Les lycéens sont nombreux à s’opposer aux choix faits par le gouvernement. Malheureusement celui-ci, semble-t-il, accorde peu d’intérêt à l’opinion de la jeunesse et n’a nullement reculé. Les jeunes se retrouvent face à eux-mêmes et se sont organisés afin de bloquer leur établissement, “seul” moyen de se faire entendre d’un ministre avec qui le dialogue est impossible.

Cependant, on peut émettre quelques réserves sur les blocus : ils manifestent l’intérêt que portent les lycéens au respect de leurs droits fondamentaux et montrent qu’ils sont acteurs de leur avenir. Néanmoins, les bloqueurs imposent d’une certaine manière leur avis, sans tenir compte de celui des autres élèves à qui les réformes conviennent, ou tout simplement de ceux qui n’ont pas d’opinion là-dessus. De plus il ne faut pas oublier que l’éducation censée être un droit universel n’est pas garantie partout, et que nous avons en France la chance d’avoir des écoles et des enseignants. C’est pour cela que, plus qu’un simple droit, l’éducation devient presque un devoir pour chacun, auquel les blocus contreviennent.

Pour en savoir plus :

– La réforme du Lycée et et du bac

https://www.letudiant.fr/amp/bac/reforme-du-bac-et-du-lycee-ce-qui-change-pour-vous.html

– Parcoursup en 2019

https://www.leparisien.fr/amp/societe/parcoursup-2019-tout-ce-qu-il-faut-savoir-sur-la-plateforme-d-orientation-19-12-2018-7972113.php

– Le Service National Universel

https://www.lesechos.fr/amp/80/2172980.phpv