Littérature
Rencontre avec le poète marseillais Arno Calleja autour de ses écrits déroutants

Rencontre avec le poète marseillais Arno Calleja autour de ses écrits déroutants

En résidence poétique au lycée Thiers pour des ateliers d’écriture en classe de première et au CDI, le poète Arno Calleja a accepté de répondre aux questions de La Terre en Thiers. L’occasion d’évoquer avec lui ses débuts en tant que poète amateur pour ensuite parler du déroutant livre « La rivière draguée » publié en 2021 et du tout aussi superbe « Un titre simple » publié en 2019. À travers cet échange, Arno Calleja nous a permis de voyager dans son monde fait de tabous, deuil, souvenirs, humour … En explorant toutes les facettes de la littérature, ce poète à la fois professionnel et passionné sait la complexe simplicité de la littérature et en fait un remède contre l’ennui.

Ayant attrapé et exploité très tôt le virus de l’écriture, Arno Calleja nous  explique la difficulté du métier de poète aujourd’hui, un métier qui selon lui, se perd. Puisque la littérature est son domaine, le poète n’hésite pas à sillonner pour nous les divers aspects de son art. Ainsi, il publie des romans, fait des ateliers d’écriture, donne des cours, participe à des revues, écrit pour une compagnie de théâtre, explore la dramaturgie… Son parcours  multiple nous permet de découvrir une figure inspirante qui incarne la poésie actuelle.

 

© Arno Calleja

LTET :  Est-ce que vous pouvez d’abord nous parler de votre parcours ?

J’ai passé un bac, j’ai fait une fac de philosophie mais je ne suis pas allé très loin. A la licence, je me suis arrêté. Je voulais faire des trucs à ma façon. Donc, j’ai commencé à écrire de manière sérieuse et je bossais à côté. Je trouvais des petits boulots. Quand on est jeune romancier(e) ou poète(sse), c’est assez rare de commencer par éditer un livre. Il y a tout un tas de petits lieux, dans les revues de poésie par exemple. C’est vrai que j’ai commencé par faire des lectures publiques dans des théâtres, dans des bars […] puis éditer, rencontrer des gens qui faisaient des revues à Marseille, à Paris, avant de faire un premier livre.

LTET : Comment avez-vous su que le domaine de la poésie était votre vocation ?

Je ne sais pas ! J’avais envie assez tôt d’écrire, de faire des livres, de vivre des choses autour de l’écriture, de rencontrer d’autres écrivains. J’avais cette idée entre autres et c’est ça qui a marché à un moment donné quand j’avais vingt ans.

LTET : Vous dîtes que le métier de poète se perd de nos jours. Discrets, effacés, les poètes actuels se font rares. Cela ne vous a pas mené à vous questionner sur votre avenir professionnel  ou repoussé ?

Non, pas spécialement, parce que l’envie était plus forte.

LTET : Dans « La rivière draguée », l’histoire se déroule dans la ville de Taipei à Taïwan où vous avez séjourné et décidé ensuite d’écrire des poésies en réaction à un meurtre d’une jeune fille. Nous lisons au fur et à mesure les voix des « quatre enfants », de « l’homme au sac plastique », de « l’enquêteur », de « la rivière », de «la petite inconnue de la rivière » et enfin de « la femme à la pastèque ». Comment avez-vous eu l’idée de relater cette affaire ?

En fait, j’étais là-bas à Taïwan pour écrire quelque chose pour des acteurs. C’est vrai qu’il y a toujours une parole poétique dans mes livres mais parfois ça devient, comme dans ce cas là, une sorte de pièce de théâtre. Donc oui, c’est un vrai fait divers qui a eu lieu en France dans les années quatre vingt mais que j’ai déplacé fictionnellement à Taiwan puisque je voulais que l’action du livre se passe là-bas. J’ai rencontré des acteurs, j’ai commencé à les interviewer, à prendre des éléments de leur vie et à voir où est-ce qu’ils vivaient, ce qu’ils aimaient… En fait dans l’avion, il y avait un numéro du journal Libération, que j’ai gardé. Il évoquait ce fait divers français. Je l’ai pris, je l’ai déplacé à Taïwan et ensuite au moment de commencer à écrire la pièce, j’ai créé des personnages qui étaient liés à ce fait divers. J’ai mélangé certaines choses chez les acteurs.

LTET : Il est vrai que c’est très original puisque le personnage principal est la rivière. Pourquoi avoir fait ce choix?

C’est lié à ces acteurs. Une fois que le fait divers s’est placé dans notre histoire, il fallait que je répartisse les personnages. Alors il y en avait un, qui était un peu le tueur, un qui est devenu l’enquêteur, une parce que ça avait à voir avec sa vie, sa taille, c’était la petite fille morte, et la quatrième actrice, c’était évident qu’elle n’était pas humaine et que c’était la rivière.

LTET : On remarque que dans vos livres, les titres sont très originaux. Pourquoi ici avoir choisi « La rivière draguée » ?

Et bien, le titre, je l’ai choisi avant mon arrivée à Taipei. Quand je suis arrivé, je ne savais pas encore ce que j’allais écrire mais je savais que la ville était traversée par une rivière. Et puis, il y a surtout un cinéaste taïwanais, que j’aime beaucoup. Il s’appelle Tsai Ming-liang. Il a fait un film qui s’intitule “La Rivière”. Avant d’arriver là-bas, ils voulaient un titre au projet. Alors je leur ai dit: « La rivière draguée » parce que j’aime ce film et il y a l’idée de creuser, de draguer.

LTET : Pourquoi ne pas avoir choisi la forme de l’enquête policière mais plutôt celle du mythe ?

En effet, c’est un peu comme si c’était une histoire racontée par des gens qui l’ont vécu ou bien un mythe raconté par un chœur comme dans la tragédie antique. C’est comme un conte, un fait divers narré ou quelque chose de mythique, puisque cela a à voir avec l’Asie, le bouddhisme, le taôisme …

LTET : « Un titre simple » est composé de descriptions qui en font un livre assez simple et léger à lire. C’est un journal où s’écrit ce qui vient. Pourquoi ce journal est-il si impersonnel ?

C’est un journal poétique. L’idée du journal, c’est comme si chaque matin le narrateur se levait et était presque une autre personne. On dirait qu’il y a des jours où c’est plus une fille qu’un garçon, un autre jour où il raconte une scène… C’est comme si chaque jour, on avait tiré des dés et que la donne était changée. C’est pour ça qu’il est un peu éclaté, un peu impersonnel. Ça m’amusait parce que normalement, un journal est très autobiographique.

LTET : Ce personnage est en effet marginal et souhaite “s’étranger”. Pouvez-vous nous expliquer ce souhait ?

Oui, c’est comme si étranger était un verbe. On ne sait pas trop si ce gars vit quelque part, s’il travaille. On ne peut pas trop le définir.

LTET : On retrouve aussi des passages assez surprenants …

Oui, il n’y a pas beaucoup de tabous. Il y a des rêves notamment où effectivement sont narrées des scènes impossibles. Il y a des choses très abstraites, d’autres très concrètes. Il y a des choses sexuelles, drôles. J’ai essayé de prendre toutes les dimensions de la vie et d’en faire un petit fil, un peu haché comme ça.

LTET : « Un titre simple »: pourquoi avez-vous choisi ce titre ?

Oui, je voulais un titre simple et puis « Un titre simple », ça s’avérait être un titre simple.

LTET : Pour tous ceux qui veulent écrire aujourd’hui  à l’âge où vous avez commencé, quel conseil donneriez-vous ?

D’abord, il faut le faire pour soi parce qu’il faut avoir un plaisir à ça. Moi c’est vrai que j’ai rédigé dans mon coin un bon moment. Et puis, quand j’ai rencontré des gens qui faisaient des revues, ça a vraiment ouvert un champ. J’ai commencé à lire de nouvelles choses … En tout cas, il faut commencer, faire lire à ses copains, à ses copines, persévérer dans ce qu’on préfère faire et laisser de côté ce qui nous ennuie pour ne pas trop avoir peur et surtout s’amuser.

Lecture le jour de l’interview d’un extrait du livre « Un titre simple » par Arno Calleja : 

Entretien réalisé par Suzanne PALA et Lena Pichot, le  5 mai 2023

 

Bibliographie :

Un titre simple“, Arno Calleja, éditions Vanloo, paru en août 2019, 14€ (présent au CDI)

“La rivière draguée“, Arno Calleja, éditions Vanloo, paru en octobre 2021, 12€ (présent au CDI)