Littérature
A propos de Vostok

A propos de Vostok

Vostok” est le dernier roman de Laurent Kloetzer. C’est, commençons simple, un thriller d’anticipation dont la fin raccroche le récit à l’histoire du vertigineux Anamnèse de Lady Star.

Vostok de Laurent Kloetzer

 

Futur proche. Leo(nora) est une très jeune fille, la sœur de Juan, le leader d’un cartel de Valparaiso. Elle vit dans une villa ultra sécurisée avec les proches de son frère. Tous sont sous la menace constante du cartel andin, leur ennemi, qui contrôle les Hauts et les cieux. Pour trancher le nœud gordien, Juan décide un jour de craquer le réseau des Andins. Il a besoin, pour ce faire, d’un code que détient une vieille scientifique proche des Andins, Veronika Lipenkova. Hélas, lors de la tentative d’enlèvement, Veronika est tuée. Le code est perdu, et Juan doit faire face à ses supérieurs, très mécontents de la zizanie qu’il a créée.

Pour sauver sa tête, Juan doit retrouver le code, dont une copie serait dans la base antarctique Vostok, où Veronika passa de nombreuses saisons. Il rassemble alors une expédition qui part aux confins du monde, aussi loin qu’un humain puisse être sans quitter la Terre, en quête du Graal ou d’une chimère. L’épreuve sera terrible et poussera les membres de l’expédition jusqu’à leurs dernières limites.

“Vostok” est un excellent roman.

Situé dans le monde d’Anamnèse, il est bien plus accessible et se lit d’une traite en efficace page turner. Après un début qui pose les personnages et crée le lien indispensable entre Léo et le lecteur, le groupe se déplace vers la base Vostok (Orient), au pôle géomagnétique terrestre, loin au cœur de l’Antarctique. Abandonnée depuis des années, la base est un lieu hostile sise au milieu d’un désert qui ne l’est pas moins. Pas d’eau liquide, un air très sec et pauvre en oxygène, des températures extrêmes descendant jusqu’à -90° C, un hiver obscur de plusieurs mois, des centaines de kilomètres jusqu’à l’implantation humaine la plus proche.

Dans le monde réel, la base Vostok existe vraiment.

Installée en 1957 par l’Union Soviétique dans le mouvement général d’exploration de l’Antarctique, on y fit du carottage de glace pour l’étude du climat passé de la planète. Elle fut provisoirement fermée en 94, après la chute de l’URSS, puis rouvrit avec une équipe internationale. On y découvrit l’un des plus grands lacs souterrains du monde, plus de 3000 mètres sous le sol de la station – clos depuis des millénaires, dans l’abime du temps. Interrompu un temps, le forage vers le lac reprit et celui-ci fut atteint en 2012.

Et dans le roman, la base a un secret.

Que les personnages découvriront. Trop tard sans doute pour qu’il serve à quelque chose. Car le monde, loin, si loin, convulse sous les assauts de la bombe iconique.

Lieu-personnage, lieu rêvé, vécu, abandonné, regretté, souhaité, Vostok est l’un des protagonistes du récit, avec la jeune Léo, qui apprend la responsabilité dans les risques et le froid du Grand Sud, avec Veronika, morte mais qui s’exprime par les extraits du livre dans lequel elle raconte sa vie dans et pour Vostok, avec les autres aussi, qui trahissent, font défection, ou deviennent fous, poursuivant un rêve inaccessible ou succombant à la solitude hostile du lieu.
Car à Vostok, on vit sur Terre comme dans l’espace. Loin de tout, sans secours rapidement accessibles, dépendant des réserves de vivres ou de carburant, les occupants de Vostok ne sont en sécurité qu’à l’intérieur. Dehors, on peut mourir de froid, on peut se perdre et mourir, on peut s’attarder et mourir. Et à l’intérieur, gare au feu. Si la base est endommagée, on mourra aussi. Tout est trop loin. Les humains ne sont pas faits pour vivre là. Rien n’est fait pour vivre là.

Le centralien Kloetzer met dans son récit son amour évident de la technique,

son admiration devant la passion qui anime les chercheurs, sa nostalgie aussi de la science soviétique, souvent d’avant-garde et sans doute – toutes proportions gardées – plus pure dans ses intentions que la recherche contemporaine. Il met en scène deux femmes fortes qui communiquent par-delà la mort. Deux femmes qui prennent les choses, et leur destin, en main en dépit des limitations de deux sociétés machistes, celle des cartels comme celle de cette URSS qui prônait pourtant l’égalité des sexes et avait envoyé Valentina Terechkova dans l’espace, à bord d’un vaisseau Vostok justement.

Très documenté, toujours palpitant, “Vostok” rappelle le meilleur du « merveilleux scientifique » et fait de Laurent Kloetzer, qui décrit la science puis extrapole sans oublier de raconter le monde, un Jules Verne contemporain.

EJ

Vostok, de Laurent Kloetzer, édition DENOEL,  collection Lunes d’Encre, paru en mars 2016, 21, 50 euros.

Bientôt au CDI.