Cinema
Langueur vampirique

Langueur vampirique

« Only Lovers Left Alive », le dernier film de Jim Jarmush sorti en salle le 19 février est d’abord une histoire d’amour. Il met en scène deux vampires, des dandys prénommés Adam et Ève. On pourrait qualifier Adam de rockeur suicidaire. Eve est plus indéfinissable. L’un vit à Detroit, l’autre à Tanger. Ces deux rôles sont interprétés par Tilda Swinton et John Hiddleston. Ce film se pose comme une réflexion sur l’éternité.

only lovers left alive

 

Toujours très soignés, les films de Jarmush sont emprunts de poésie. Ici, on remarquera particulièrement la bande son et le « sound design ». Le réalisateur, lui-même musicien, peuple ses films de sons en résonance, principalement des cordes. Only Lovers Left Alive se place dans l’héritage de Dead Man dont Neil Young avait composé la musique. Cette fois, c’est avec le compositeur et luthiste néerlandais Jozef van Wissem que Jarmush a collaboré avec son propre groupe Sqürl. Les instruments utilisés datent exclusivement de la Renaissance. Le film comporte également de nombreux standards de rock comme Charlie Feathers ou Wanda Jackson. 

La poésie est en grande partie due à la beauté de l’image.  

Les premiers plans s’ouvrent sur l’hypnose d’une caméra au plafond qui fait tourner la scène à 360° comme un vinyl sur une platine ou une danse souffi. Vampire oblige, les scènes sont toujours nocturnes. Dans la ville marocaine, le réalisateur utilise le procédé du « steady cam » pour les scènes où Eve déambule dans la casbah. Grâce à la  fluidité du mouvement de la caméra, on a l’impression de partager son errance éternelle. À Detroit, on reste dans l’errance, mais cette fois c’est en voiture qu’on traverse la ville fantôme. La ville du rock, montrée ici comme agonisante, désertée, éclairée avec froideur, est le décor parfait pour les deux vampires.

Après avoir vu le film, certaines scènes restent en tête, comme lorsque Eve caresse ses livres, ses doigts semblent comprendre les mots à leur simple contact. Autre détail, les vampires ne mordent plus leurs victimes mais s’alimentent avec du sang volé dans des hôpitaux. Ils le boivent ensuite dans de précieux verres à liqueur. Après s’être repu, apparait une expression extatique sur leurs visages. Le réalisateur joue alors avec les stéréotypes du cinéma, les filmant d’une façon plutôt réservée à l’effet de la drogue ou à l’orgasme.  

Ce film contraste avec les films de vampires habituels, que ce soit Dracula de Coppola, Le bal des vampires de Polanski ou encore plus récemment la saga Twilight.

 Certes, les vampires boivent encore du sang, vivent de nuit et reclus. Mais, on est loin des monstres effrayants qu’ils ont pu être au cinéma. L’élément central du genre, l’horreur, est ici mis de côté. Les vampires d‘Only Lovers Left Alive n’ont rien d’angoissant.  

Alors pourquoi les utiliser ? Pour leur immortalité. Le réalisateur s’attache à reproduire un fragment « d’éternité ». Difficile à traiter en deux heures, et pourtant il y parvient. Il joue sur la répétition, les mouvements circulaires, et finalement le peu de scénario, ce qui impose une cadence particulière à son film. Le rythme très lent est renforcé par la musique, installant une sorte de langueur chez le spectateur. On a parfois l’impression d’être dans un rêve, dans une nuit sans fin. Seulement cette lenteur amène des longueurs et le spectateur n’échappe pas à l’ennui. Le scénario assez flou, n’enlèvera pas cette impression. Peut-être le public intellectuel que cherche à viser Jarmush (comme le démontre ses nombreuses références culturelles) ressortira-t-il de la salle en se disant sur un ton snob “quel délicieux ennui”!

On peut aussi critiquer certains choix de Jarmush, comme par exemple celui du rôle de la soeur, assez agaçant et prévisible, n’amenant rien. Au final, on éprouve un sentiment assez mitigé. Malgré une complète immersion dans une vision poétique grâce à un traitement particulier de la musique et des images, l’effet d’envoûtement ne saurait dissiper l’impression de manque d’histoire. Ce film à l’esthétique soignée, atypique cinématographiquement, ne manquerait-il pas de substance ? A moins que représenter l’éternité, cela passe forcément par l’ennui.  

Lou