Cinema
“Les Animaux Fantastiques” : un pari réussi mêlant esthétique et légèreté

“Les Animaux Fantastiques” : un pari réussi mêlant esthétique et légèreté

Sorti dans les salles obscures le 16 novembre 2016, « Les Animaux Fantastiques » est le premier opus réussi d’une pentalogie prometteuse. Cette œuvre signée J.K Rowling a la particularité de se détacher de la saga Harry Potter en proposant une légèreté bienvenue.

Approchant des 3 600 000 entrées au box-office (à la date du 27 décembre en France), Les Animaux Fantastiques est largement à la hauteur de ses attentes. Le réalisateur hollywoodien David Yates (qui s’était déjà occupé des quatre derniers opus de la saga Harry Potter) nous propose un voyage vivifiant dans l’univers étendu du monde magique imaginé par J.K Rowling (qui signe le scénario), plus exactement dans le New-York des années 20.

Mais « Les Animaux Fantastiques », qu’est-ce que c’est ?

Si vous engagez une discussion avec un ou une moldu-e (une personne qui ne maîtrise pas l’art de la magie), alors il pourrait vous poser ce genre de question : « Un Harry Potter sans Harry Potter ? Mais ça n’a aucun sens ! ». Dans cette situation, surtout ne paniquez pas, gardez votre calme et prenez le temps de lui expliquer. Les Animaux Fantastiques est ce que l’on appelle dans le jargon du cinéma un « spin-off », c’est-à-dire une œuvre de fiction se focalisant sur un ou plusieurs personnages secondaires (voir tertiaires) d’une œuvre précédente. Mais ce n’est pas tout, Les Animaux Fantastiques est également un « prequel », autrement dit il précède l’œuvre originale et se focalise sur un détail de l’univers étendu (par exemple le film Star Wars : Rogue One est dans le même cas).

Maintenant que nous savons ce qu’est Les Animaux Fantastiques, nous pouvons l’apprécier sans se poser de questions inutiles. Nous suivons donc les aventures de Norbert Dragonneau (Newt Scamander en VO), jeune magizoologiste qui débarque à New-York en 1926 au terme d’un long périple à travers les cinq continents, durant lequel il a établi un formidable bestiaire de créatures magiques et fantastiques qu’il cache dans sa valise ensorcelée. Il fait la rencontre de trois personnages très différents : Jacob Kowalski un Non-Maj’ (version Américaine du moldu) qui est embarqué malgré-lui dans d’extraordinaires péripéties, Tina Goldstein ex-Auror (enquêtrice) et sa sœur Queenie toutes les deux employées à la MACUSA, le ministère de la magie Américain. Ils feront face à de périlleuses aventures : traquer des créatures magiques dans New-York, faire face à des groupes fanatiques Non-maj’ désirant anéantir les sorciers, et affronter des forces obscures dangereuses et mystérieuses. Sans oublier le sombre Gellert Grindelwald, un mage noir terrorisant le monde magique qui demeure introuvable.

De gauche à droite : Tina Goldstein, Norbert Dragonneau, Jacob Kowalski et Queenie Goldstein

De prime abord, le scénario est séduisant mais évidemment cela ne suffit pas. La réalisation est au même titre que le scénario d’une importance capitale. D’une part il faut faire en sorte que le spectateur s’intéresse à l’histoire du film, qu’il en comprenne le sens et l’importance. D’autre part, pour éviter qu’il ne s’endorme, il faut impérativement l’amuser avec de l’action, de l’humour, une histoire d’amour, des effets spéciaux et des péripéties sans pour autant tomber dans la caricature à la Michael Bay avec des explosions toutes les cinq secondes et un humour lourdingue digne des blagues de tonton Gégé pendant le barbecue du dimanche après-midi (ceci n’est qu’un exemple bien entendu). Les Animaux Fantastiques réussit cela. Lancés dans une course en pleine ville, les quatre héros « malgré-eux » considérés comme des fugitifs vont surmonter les obstacles dans une dynamique ludique grâce à un enchaînement de séquences astucieuses. Les péripéties rocambolesques des héros passent du burlesque (un cambriolage involontaire) au thriller captivant (une évasion de prison) et grâce à la fluidité de l’action dans la narration le visionnage est agréable et les contre-sens évités.

Une œuvre à écouter et à admirer

L’année 2016 fut forte en émotions, en plus du terrorisme et des guerres qui font rage, nous sommes impuissants face à la montée des perruques extravagantes (et extrémistes) au pouvoir. Alors comment évacuer tout notre stress et notre angoisse ? Prenez un chocolat chaud, une couverture, appelez quelques amis et regardez Les Animaux Fantastiques. Le film apporte une légèreté qui est plus que bienvenue de nos jours, un humour frais qui ne tombe pas dans la lourdeur.  Les rôles proposés aux acteurs n’incluent pas forcément une personnalité forte, une histoire proprement définie, ni une force surhumaine. Au contraire, leur maladresse, leur sympathie et leur simplicité permettent une identification encore plus forte qu’au temps du petit sorcier aux lunettes rondes. Nous pouvons noter la performance d’Eddie Redmayne dans le rôle de Norbert Dragonneau. Burlesque, amusant, captivant, émouvant, tous les éléments sont présents pour nous faire oublier les tracas de la vie quotidienne et vivre pendant deux heures et vingt minutes dans le formidable monde magique.

FB new york
Norbert Dragonneau découvrant pour la première fois New-York

Pour apprécier pleinement le film, il suffit parfois d’en admirer la beauté. La représentation du New-York des années 1920 est particulièrement réussie. De l’aspect global de la ville aux détails des costumes en passant par le bar-cabaret clandestin, tout a été fait pour que le visionnage du film soit agréable. Il y a eu un important travail de recherche sur la mode de la fin des années 20, les véhicules, l’architecture, les rues, les habits et le mode de vie. Le but était de capter et mettre à l’écran une ambiance prenant tous ces éléments en compte, la musique faisant également partie du jeu. De plus, L’esthétique du film est importante dans la compréhension globale de l’œuvre, mais celle-ci est plus subtile. Par exemple, l’obscurité est un thème récurent du film, cette notion peut être étudiée de deux points de vue différents. Du point de vue du groupe fanatique non-maj’, l’obscurité représente l’ignorance, la violence, l’agression et la peur. Leur maison est sombre, l’ambiance lourde comme si tout était confiné en un minuscule espace. Au contraire, du point de vue de Norbert Dragonneau, l’obscurité est poétique, presque romantique. Il traverse Central Park de nuit sous la neige, il y a un désir d’aventure, de liberté, de grands espaces et de plénitude. C’est la confrontation de la peur et de l’ignorance d’un côté, et la joie de vivre simplement de l’autre. C’est aussi en cela que le film est réussi, un véritable travail d’artiste sur l’esthétique et la beauté de tout point de vue.

 Pour aller plus loin … (attention aux spoilers)

Une des forces de ce film est le travail des personnages. Comme dit précédemment, ils n’ont pas de personnalité forte ce qui permet au spectateur de pouvoir s’identifier au personnage, cependant on peut noter leur singularité. Tout d’abord Norbert Dragonneau, un jeune homme qui paraît simplet, et qui débarque aux États-Unis en ignorant ce qu’est la MACUSA, les lois en vigueur, ce qu’il s’y passe et est donc immédiatement hors-la-loi en transportant des créatures magiques. Il a été renvoyé de l’école de sorcellerie Poudlard et n’entretient presque aucune relation humaine ce qui fait de lui un marginal. Ensuite le Non-maj’ Jacob Kowalski, un homme célibataire, qui ne se plaît pas dans son travail et ne peut pas devenir boulanger comme il le souhaite. Il rentre malgré-lui dans le monde de la magie et subit des évènements qui le dépassent totalement en se contentant de sourire. On peut noter que comme à son habitude J.K Rowling propose une réelle force féminine avec Tina Goldstein et sa sœur Queenie qui sont également des personnages singuliers. Tina est une ex-Auror (c’est-à-dire enquêtrice) qui a été rétrogradée pour cause d’insoumission, ses relations avec ses supérieurs sont tendues et sans son aide, Norbert ne serait jamais sorti vivant de son périple. Enfin, il y a Queenie, un personnage énigmatique, très extravertie mais qui a cause de son don n’a personne avec qui parler. En effet Queenie est une legilimens, c’est-à-dire qu’elle peut lire dans les esprits. Elle est la touche glamour du film et malgré les apparences c’est une excellente sorcière qui parvient avec Jacob à faire évader Norbert et Tina de la MACUSA. Cependant, on aurait préféré la voir un peu plus à l’écran et obtenir plus d’informations sur son passé notamment.

Quand vous aurez expliqué tout cela à votre ami-e moldu-e, il ou elle risque de vous dévisager avec un regard vide et sortir quelque chose comme : «Ouais donc ce film c’est comme tous les blockbusters hollywoodiens, il suffit d’y aller et de poser son cerveau sur le siège d’à côté !», alors avant de prendre votre baguette et lui infliger le sortilège Doloris (de torture), respirez profondément et expliquez-lui ces quelques notions. Si Les Animaux Fantastiques apporte de la légèreté avec beaucoup d’humour il ne faut pas oublier que c’est également une œuvre qui dénonce, notamment la persécution des minorités représentée par les “Fidèles de Salem” un groupe non-maj’ fanatique qui désire l’éradication des sorciers. En effet le monde magique est tenu secret, et c’est bien connu, ce qui inspire le mystère fait peur. Comme si cela ne suffisait pas, le mage noir Grindelwald prône la théorie du “sang pur” et désire dominer ceux qui n’ont pas de pouvoir magiques. Le monde des sorciers est terrorisé, ils ont peur des groupes fanatiques et des fidèles de Grindelwald alors une sorte d’état d’urgence est décrété. Est-ce une bonne ou une mauvaise idée ? Le débat fait rage, certains disent que c’est une paranoïa xénophobe, d’autres une prudence raisonnée. Étant donné que selon une légende urbaine le travail journalistique demande une certaine neutralité (même Jean-Pierre Pernault le dit) et que c’est un sujet d’actualité nous ne répondrons pas à cette question. Tout cela s’inscrit dans une logique historique par rapport au contexte du film. En 1926, l’Europe voit l’avènement des régimes totalitaires : le nazisme monte en puissance et l’Italie souffre du fascisme (sans oublier papy Staline qui fait ses goulags en Union Soviétique) et 13 ans plus tard débutait la Seconde Guerre mondiale, l’apogée de la xénophobie et de la terreur.

Mary-Lou Bellebosse, présidente des Fidèles de Salem (affiche de propagande en arrière-plan)

L’article touche à sa fin et votre ami-e moldu-e semble plus ou moins comprendre, et alors que vous reprenez votre souffle, voilà qu’il ou elle ouvre la bouche pour sortir une nouvelle énormité : «C’est tout ? Bah c’est nul, je préfère largement La Lettre de Manoel de Oliveira !» c’est le coup de grâce, vous êtes au bord du gouffre, votre âme de sorcier est sur le point de craquer, alors vous devez tenter un dernier combat, vous devez sortir votre botte secrète … FREUD ! Amis littéraires, avant de fuir ne vous inquiétez pas nous ne parlerons pas de Pasolini, mais du refoulement. En effet le film introduit l’existence d’une créature très particulière : l’Obscurus. Cette “substance” se crée lorsque une personne refoule ses pouvoirs magiques à cause de son environnement, son éducation et les interdits sociaux, comme Croyance qui vit dans une famille ne tolérant pas la magie (il est l’enfant adoptif de la présidente des fanatiques Fidèles de Salem). La théorie du refoulement est décrite par le psychanalyste Sigmund Freud, il dit que le refoulement des “pulsions” (les pouvoirs magiques dans ce cas) conduit à l’exclusion et à la souffrance. Ainsi l’obscurus, qui s’empare tel un parasite de l’individu refoulant ses pouvoir, tue son hôte avant l’adolescence. La découverte de l’Obscurus a développé de nombreuses théories populaires selon lesquelles des personnages de la saga Harry Potter ont été ou auraient pu être des obscurus, notamment Ariana Dumbledore (la petite sœur d’Albus Dumbledore directeur de Poudlard) une théorie concernait également Harry Potter qui devait refouler ses pouvoirs à cause de la famille Dursley (cependant n’ayant aucune connaissance du monde magique Harry ne pouvait être victime d’un Obscurus, donc J.K Rowling a démenti cette théorie). Une autre théorie concerne Norbert Dragonneau. Il serait selon certains un autiste. En effet il parle assez peu, n’entretient presque aucune relation humaine, paraît renfermé sur lui même et ne vit que pour découvrir et s’occuper de ses animaux magiques, chose qui est récurrente chez les personnes autistes (nous ne parlerons pas de la théorie selon laquelle Norbert Dragonneau aurait créé Europe Écologie Les Verts). Pour les prochains opus (c’est une pentalogie  (cinq films)), nous retrouverons peut-être l’Europe et Poudlard, et nous serons certainement les spectateurs d’œuvres plus dramatiques avec le retour de l’obscurus qui n’a pas été détruit, et l’affrontement inévitable entre Gellert Grindelwald et le légendaire Albus Dumbledore.

Pour conclure, Les Animaux Fantastiques est un film réussi, mêlant humour, légèreté et esthétique sur un fond plus dramatique. Tous les éléments sont présents pour nous faire oublier les tracas de la vie quotidienne, tout en permettant une analyse intéressante sur les personnages emblématiques de cette nouvelle pentalogie. Et si votre ami-e moldu-e n’est toujours pas convaincu-e, alors l’internement à l’hôpital Sainte Mangouste semble inévitable.