Lincoln, de Steven Spielberg

 

Un homme vouté, de dos, déambule faiblement dans les couloirs de la Maison Blanche : c’est Abraham Lincoln selon Steven Spielberg.

Après Tintin et Cheval de guerre, sortis en salles en 2012, Steven Spielberg réalise Lincoln, un biopic sur le seizième président des Etats-Unis (sorti le 30 janvier 2013). Il y explore une fois de plus le genre historique, initié par La couleur pourpre (1986). Les circonstances font que Lincoln sort en même temps que Django Unchained, réalisé par un autre maître du septième art, Quentin Tarantino. Si les deux films traitent de l’esclavage aux Etats-Unis, dans les années 1850-1860,  les points de vue adoptés sont atypiques et les styles cinématographiques distincts

Attention, Lincoln est totalement différent de Django Unchained. Le film de Spielberg est intimiste, bavard et étudié pour. Cela reflète la véritable lente progression des débats autour d’un projet de loi, ici le treizième amendement d’Abrahm Lincoln, visant à abolir l’esclavage. Le Lincoln de Spielberg est intéressant en cela qu’il revient aux fondements de la politique américaine, et qu’il aborde le rapport entre religion et société aux Etats-Unis.

Des acteurs remarquables

Sally Field (Les saisons du coeur, Forrest Gump), actrice deux fois récompensée aux oscars notamment pour son rôle dans Norma Rae (1979), joue l’épouse d’Abraham Lincoln, Mary Todd Lincoln. Elle incarne avec brio cette femme bouleversée depuis la mort de l’un de ses fils, émouvante et fragile.

 Tommy Lee Jones (No country for old men, JFK,…) , également lauréat aux oscars- pour Le fugitif (1993) – joue le personnage de Thaddeus Stevens, fervent défenseur de l’égalité entre Blancs et Noirs. Son interprétation est juste, malicieuse et touchante.

Joseph Gordon Lewit, jeune acteur que tout le monde s’arrache, coqueluche de Christopher Nolan – il a joué dans Inception et Batman, the dark knight rises – joue le fils de Lincoln : Robert Todd Lincoln.

Enfin, Daniel Day Lewis (Gangs of New York, There will be blood) tient le rôle titre du film. Il a été récompensé, à juste titre,  aux Golden Globes pour son interprétation : il est encore une fois époustouflant. En effet, son travail est admirable : il ne joue pas Abraham Lincoln, il EST Abraham Lincoln. Il donne au président une dimension profondément humaniste, malicieuse, vulnérable, sensible et solitaire. Lincoln est usé par le combat harassant qu’il mène, cela se lit sur son visage et se reflète dans sa silhouette voutée et fatiguée : à cinquante-six ans, il en parait dix de plus. Spielberg, grâce à la collaboration de Daniel Day Lewis, casse l’image que nous nous faisons de ce personnage, c’est-à-dire un homme imposant, intimidant, comme le représente la statue en marbre du Lincoln Memorial.

Daniel Day Lewis, incarnation parfaite d’Abraham Lincoln.

Un travail technique de qualité

Le travail sur la lumière dans Lincoln et caractéristique des films de Spielberg. De E.T. à Empire du soleil, en passant par A.I. : Intelligence artificielle, la lumière se fait protectrice. Elle entoure les protagonistes, comme une auréole. Quasi surnaturelle, veloutée et brumeuse, elle s’infiltre à travers les fenêtres. Dans Lincoln, elle représente le monde extérieur. La silhouette noire du président se découpe, contraste avec la fenêtre, telle une ombre chinoise.

Ce film est le fruit d’une énième collaboration entre Steven Spielberg et John Williams. Le résultat est à la hauteur du talent du compositeur attitré de Spielberg. Les mélodies solennelles et lyriques (par exemple celle à 12:50 dans le lien ci-bas) sont d’une grande beauté, portées pour la plupart par des timbres de cuivres. John Williams s’amuse également à réinterpréter la musique traditionnelle, avec des thèmes plus légers. La bande originale n’est donc pas larmoyante, elle est composée avec justesse.

http://www.youtube.com/watch?v=5CTDsXF2aRg

Les gros plans sont souvent utilisés, pour souligner l‘expressivité du visage de Lincoln. Les autres cadrages sont particulièrement réussis. Par exemple, les plans d’ensemble les plus marquants sont ceux où le président Lincoln avance au milieu des corps de soldats nordistes, tués en masses au combat : il semble encore plus accablé à la vue de ce massacre. Il n’y a pas besoin de mots, l’image suffit pour comprendre l’horreur de cette situation.

En conclusion

Lincoln est un chef d’oeuvre spielbergien, sûrement le plus grand film historique du cinéaste depuis La liste de Schindler. Ce n’est pas seulement un cours magistral, comme sait si bien le faire Spielberg, c’est l’histoire  d’un grand homme  profondément humain et touchant. Le réalisateur y mêle intrigue politique haletante, intimisme et sentiments avec talent.

(A voir  en VO)

 Sarah Yaacoub