Imagination
Le chemin de l’acceptation

Le chemin de l’acceptation

D’après l’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP), après un viol, seulement 13% des victimes portent plainte. C’est l’une des agressions les moins signalées aux forces de l’ordre. Près d’une personne sur cinq n’en parle à personne, malgré son caractère traumatisant.
Afin de réagir, voici une petite histoire parlant de la difficulté de l’accepter et de s’ouvrir par la suite. Le personnage principal n’est pas nommé pour rendre ce parcours universel et que chacun puisse y trouver un écho.
Image Libre de Droit Pexels

Il avait peur, terriblement peur.. Mais que pouvait-il bien faire pour y remédier? Il devait accepter ces images épouvantables, ces flashs-backs encore tout récents, ces souvenirs encore chauds le brûlant de l’intérieur.

Il s’assit sur son lit, dans le noir, fixant un point invisible. Il avait l’ouïe aux aguets. Tous ses sens étaient décuplés.

Silencieusement, des larmes coulèrent sur ses joues, des perles salées volées à la mer. Il ne se considérait plus que comme une goutte d’eau dans l’océan. Un cas parmi tant d’autres.

Tellement insignifiant et pourtant tellement brisé.

Il se leva, allumant la lumière de sa chambre. Mais, avant de faire quoi que ce soit, il s’assura que personne ne puisse savoir qu’il était réveillé.

Il se dirigea vers son armoire et en sortit un cahier. Il lança un regard vers la porte, puis s’installa à même le sol avec ce cahier devant lui, déjà plein comme s’il allait exploser. Il le feuilleta sans lire réellement les pages remplies de mots plus ou moins lisibles, d’encre ayant bavé, ou de gribouillis; il les regarda seulement en diagonale.

Puis il l’ouvrit à une nouvelle page, armé de son stylo.

On court. On s’arrête. On respire. On regarde derrière nous. On ferme les yeux refusant d’y croire et on repart… On ne s’arrête jamais bien longtemps. On ne doit surtout pas s’arrêter sinon il nous rattrape. On doit toujours le fuir, nuit et jour, fatigué ou pas… On court pour échapper à cette vague qui risque de  nous submerger dès lors qu’on s’arrêtera.”

Il fut parcouru d’un frisson pendant qu’il écrivait ce passage.

Il ferma les yeux le temps de quelques secondes mais il les rouvrit quelques secondes après, les jambes toutes engourdies, avec une sensation de fourmis. Mais il reprit sa rédaction.

“Si on se laisse rattraper. Si on baisse la garde. Si on se repose un peu trop longtemps, le voilà devant nous, et c’est trop tard ensuite. Trop tard pour espérer lui échapper.

Si on veut faire disparaître quelque chose qui nous hante, il faut qu’on l’accepte et qu’on cesse de le fuir.

Il faut se poser… Il faut écouter ce que notre coeur nous hurle depuis tout ce temps.

On s’épuise. On s’épuise tellement. On ne tiendra pas bien longtemps à cette allure. On ne tiendra pas longtemps et on le sait. Le pire, c’est qu’on s’entête à foncer pour le fuir. Pourtant, plus on court, plus on s’éloigne de lui. Mais plus on se rapproche de cette falaise. On en est conscient, on va droit à notre perte, mais on ne s’arrête pas. Or, un jour on se retrouvera à devoir choisir. L’acceptation ou le déni fatal.”

Ce n’était pas qu’une image, loin de là et lui même le savait…

“Je me souviens… Je me souviens aujourd’hui encore… Je me souviens de tout, 497 jours après…”

Même s’il avait fini d’écrire, il continua à feuilleter les pages, toutes blanches, toutes impeccables. Il afficha un demi-sourire nostalgique en le faisant, puis il le perdit voyant la fin du livre arriver à grand pas. Après tout, il ne lui restait qu’une dizaine de pages avant de ne plus pouvoir écrire.

Son aventure le mena donc rapidement à la fin du livre et à sa lame. A cette lame qui habitait ce livre depuis des mois.

Il la regarda, l’observa d’abord avec dégoût. C’était un objet à mi-chemin entre délivrance et destruction. Il s’était promis d’arrêter mais après tout, une coupure de plus ou de moins, qu’est ce que ça change? C’était justement ce  qu’il avait pensé la première fois qu’il avait hésité à le faire.

Il détourna le regard de cet objet tranchant, levant les yeux sur son armoire encore ouverte devant lui. Il essayait de sortir cette horrible pensée de son esprit. Mais il n’y arrivait pas. Il se sentait coupable. Coupable de ce qui lui était arrivé et de ce qu’il vivait.

A bout de force, il baissa les yeux, larmoyant sur cet objet anéantissant son épiderme un peu plus chaque fois.

Il prit cette lame entre son pouce et son index, elle était si délicate. Si délicate et  si destructrice en même temps. Il n’avait trouvé que ce moyen pour évacuer la haine qu’il avait en lui. Il se mutilait, voulant éliminer cette douleur qui le rongeait chaque jour.

Il traça un premier trait, ressentit des picotements puis sa peau se déchirer.

Il en traça ainsi une dizaine à l’horizontale; il joua du violon sur ses bras. Les larmes sortirent et quelques-unes d’entre elles atterrirent sur ces blessures toutes neuves. Il ne sut dire si c’était la douleur ou si c’était la haine.

Mais comme chaque fois après avoir laissé son état intérieur déteindre sur son état extérieur, il le regretta. Il s’en voulut énormément, si bien qu’il versa d’autres larmes de culpabilité.

Il ferma immédiatement son cahier, les mains tremblantes. Il savait qu’il ne pourrait pas le cacher éternellement mais il n’arrivait pas non plus à le dire. A sa famille, à son père, à sa mère… Un jour son regard un peu trop luisant le trahirait, un jour sa parole trop longtemps contrôlée se rebellerait. Et ça, il le savait très bien.

Il s’était donné jusqu’à la fin de son cahier pour parler. Il lui restait seulement dix pages.

Une semaine plus tard, il ouvrit son cahier sur la dernière page, la seule qui était encore blanche. Seul le petit bout de métal luisait sur cette feuille.

Il avait une page et une seule pour en finir avec cet événement. Il se l’était promis. Il devait être synthétique et franc.

Il commença les mains tremblantes comme les feuilles d’un arbre en automne, il saisit un crayon. Mais il avait une limite: comment faire le tour de sa pensée avec un nombre si limité de mots?

Il commença difficilement.

“On ne réalise jamais que d’un jour à l’autre, tout peut s’effondrer autour de nous, avant que cela ne soit le cas. Même lorsqu’on pense que c’est fini, ça ne l’est jamais, parce que les sentiments qu’il nous reste nous détruisent encore. Brûlure intérieure alimentée par un flux incessant d’essence.

C’est un sentiment d’impuissance et de culpabilité contre lequel on ne peut rien. On est constamment oppressé, où qu’on aille, soudainement étouffé, rien qu’en sentant la présence des êtres humains.

Aujourd’hui, c’est arrivé il y a 504 jours et toutes les nuits, ces images me reviennent.

Aujourd’hui, c’est arrivé il y a 504 jours et je dois mettre une fin à cette boucle.

Aujourd’hui, c’est arrivé il y a 504 jours et c’est le dernier jour que je vais écrire dans ce journal.”

Il prend plusieurs grandes inspirations, refermant tout doucement ce livre, gardant ses yeux sur les mots qu’il avait écrit jusque là. Il soupira de soulagement.

Mais à présent, il ne savait que faire. Il prit juste son cahier et sortit de chez lui.

Il courut, non pas pour échapper à son passé cette fois, mais plutôt pour se délivrer, parler et se libérer. Faire quelque chose qu’il avait toujours refusé de faire. Il avait du sang dans le blanc des yeux à cause du manque de sommeil et de la colère. Il avait des éclats brillants dans les yeux: une âme si pure totalement brisée.

Il voulait le dire à quelqu’un. Il voulait l’accepter et ne plus juste fuir son passé constamment. Il voulait dire la vérité. Mais à qui s’ouvrir? Personne ne le croirait et le soutiendrait.

A cette idée, il ralentit jusqu’à s’immobiliser totalement. Cette expérience était condamnée à rester enfermée en lui.

Personne ne le comprendrait. Alors à quoi bon avouer ce qu’était sa blessure intérieure?

Cette blessure qui était encore écarlate, rouge, mais qui ne saignait plus. Douloureuse sans sang. Elle brûlait. Elle lui faisait mal. Elle était enflée par dessous, par la présence d’un liquide, un amalgame de non-dit. Et à présent, il voulait la percer et hurler ou chuchoter tout ce qu’il cachait.

Il avait le regard perdu au loin entre ciel et terre, perdu entre son envie de fuite fatale et son envie d’acceptation définitive.

Il ne savait pas depuis combien de temps, il se tenait là. Mais, il avait senti des dizaines de regards sur lui.

Il reprit lentement sa marche en tenant fermement son cahier. Il marchait hésitant, ne sachant où aller. Finalement, il alla vers la première association de parole de sa ville. La seule qu’il connaissait.

Arrivé là-bas, il s’approcha de la première personne de l’association, serrant fermement son cahier dans ses bras. Il le tenait si fort qu’il en avait les muscles tétanisés. Il tremblait. Il avait les bras semblables à des branches fébriles, cassantes, mais présentant une écorce chargée d’histoire. Les coups de haches qu’il s’était depuis trop longtemps infligés lui avaient laissé des marques. Des traces régulières, voyantes et parallèles.

Il baissa la tête honteux. Il prit une grande inspiration, toujours sans adresser un regard, fixant ses pieds. En vérité, il avait surtout besoin de se donner du courage et il partait le chercher dans son passé, dans cet événement traumatisant.

Il se relâcha entièrement. Ses bras descendirent lentement pour retrouver leur place près de ses côtes. Il abandonna le cahier à la gravité.

Il dit d’une seule traite avec une petite voix: “J’ai été violé…”

Manifeste contre le viol:

http://www.contreleviol.fr/